En janvier dernier, McDonald’s a été condamné à verser 250 000€ d’heures supplémentaires non payées à une ancienne cadre. Comment cela a-t-il pu se produire ? Toutes les entreprises sont-elles susceptibles d’être condamnées pour des faits similaires ? Comment s’en prévenir ? Agro-media.fr a interviewé pour vous un spécialiste du droit social, Me David Jonin, qui revient sur cette affaire.
David Jonin est associé au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel, au département Droit social. Le cabinet Gide Loyrette Nouel représente environ 360 avocats à Paris et 650 dans le monde, et présente la particularité d’être organisé en départements qui correspondent à des lignes de métiers répartis dans 19 bureaux dans le monde. Il intervient dans le domaine du conseil et du contentieux en droit du travail et en droit de la protection sociale, pour les entreprises.
McDonald’s a récemment été condamné à verser 250 000€ d’heures supplémentaires non payées à une ancienne cadre. Comment cela a-t-il pu arriver ?
“Le sujet des heures supplémentaires peut être relativement compliqué pour les employeurs. En matière de durée du travail, le code du travail, pour le résumer en quelques mots, prévoit deux systèmes :
- L’horaire collectif : horaire qui est fixé par l’employeur et auquel est soumise la quasi-totalité des salariés. Par exemple, mes bureaux ouvrent à 8h le matin, ferment à 12h, réouvrent à 14h et ferment à 18h. Dans ce cadre-là, je n’ai pas d’obligation de décompte particulier des heures de travail de mes salariés. L’horaire collectif était encore il y a quelques décennies la méthode d’organisation du travail qui s’appliquait à de très nombreux salariés.
- Aujourd’hui, l’évolution du monde du travail fait qu’on est plutôt dans ce que j’appelle le deuxième grand système de la durée du travail qui concerne les salariés qui ne sont pas soumis à un horaire collectif. A partir du moment où je ne suis pas soumis à un horaire fixé et normé au sein de l’entreprise, mon employeur est tenu de décompter chaque jour de la semaine mon travail effectif en y intégrant toutes les coupures. Ceci signifie qu’en termes de documentation l’employeur doit se prémunir de disposer de l’ensemble des documents qui démontrent la réalité du temps de travail.
Dans cette affaire, je comprends qu’un employeur s’est fait condamner en paiement d’heures supplémentaires et que le conseil des Prud’hommes aurait constaté que les éléments de preuve fournis en matière de travail par la salariée étaient suffisants pour démontrer la réalité des heures supplémentaires.
Il faut un peu généraliser le débat : dans le contentieux des heures supplémentaires, le texte du code du travail, si on le suit à la lettre, dit que la charge de la preuve des heures supplémentaires est partagée entre les parties. Mais à partir du moment où vous êtes en présence d’un salarié qui n’est pas soumis à l’horaire collectif, l’employeur se doit en principe de pouvoir fournir au juge l’ensemble des éléments de décompte du temps de travail. Il est vrai que c’est parfois une tâche extrêmement compliquée pour les employeurs de demander chaque matin et pour chaque coupure la signature d’un document par un salarié, c’est même en général assez irréaliste sauf à disposer d’une pointeuse qui permet de tracer informatiquement la présence sur le lieu de travail du salarié. En-dehors de ce système de pointeuse et à la condition qu’il soit parfaitement conforme aux règles, la tenue des documents exigés par le droit du travail pour le décompte de la durée du travail est en général très compliquée pour les employeurs. S’ils n’y parviennent pas, la jurisprudence paraît relativement souple sur l’acceptation des preuves fournies par le salarié. Notamment, dans un arrêt de la Cour de cassation, un salarié avait simplement fourni un décompte manuscrit des heures, qu’il avait écrit lui-même, et le juge a estimé qu’étant donné que l’employeur ne fournissait aucun élément de preuve sur la réalité de la durée du travail du salarié, le décompte manuscrit fourni par le salarié devait être pris en considération. Ainsi, lorsque l’employeur n’est pas à même de respecter la réglementation en matière de décompte de la durée du travail, il s’expose effectivement au risque de paiement des heures au regard des seuls éléments constitués par le salarié, ce qui peut conduire à un procès très déséquilibré.“
La plaignante n’a pas obtenu les 50 000€ qu’elle réclamait en guise de dommages et intérêts pour troubles de la vie quotidienne, mise en danger de la vie d’autrui et non respect des dispositions légales relatives à la durée du travail. Comment l’expliquez-vous ?
“Le premier principe à rappeler est qu’en droit français on peut obtenir la réparation de son préjudice à condition qu’il soit prouvé. Si vous demandez 10 000€ de dommages et intérêts, il faut que vous puissiez démontrer que votre préjudice est réellement de 10 000€. Nous sommes donc là encore sur un exercice probatoire compliqué : comment démontrer les troubles de sa vie quotidienne ? Ensuite, si l’on part du postulat que la salariée est parvenue à démontrer que sa vie était désorganisée, quelle est est la valeur d’un tel préjudice ? Est-ce que ça vaut 1€, 50€, 100 000€ ? A partir du moment où la salariée ne démontre pas la réalité de son préjudice et la réalité de la valeur de son préjudice, le juge aura tendance à rejeter des demandes de dommages et intérêts qui ne sont pas justifiées par des preuves. Je pense que l’exercice qui consiste à demander des dommages et intérêts supplémentaires sera toujours compliqué sauf à avoir dans son dossier des preuves qui démontrent la réalité et la valeur du préjudice.”
Agro-media.fr remercie Me David Jonin pour avoir accepté de répondre à nos questions.
Propos recueillis par Vanessa Dufus.