Suite à l’annonce du premier ministre François Fillon sur son intention de taxer les boissons gazeuses à sucres ajoutés et édulcorées, nous avons contacté Bernard Reynès, député UMP de la XVème circonscription des Bouches-du-Rhône, et auteur du rapport parlementaire sur la relance de la compétitivité de l’agriculture. A travers ce rapport, M. Reynès avait proposé l’idée d’une taxe soda pour faire baisser le coût de la main d’œuvre agricole.
- agro-media.fr : A l’origine, vous aviez proposé, à travers votre rapport, à Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture, de taxer les boissons gazeuses à sucres ajoutés et édulcorées pour permettre de réduire le coût du travail des agriculteurs. Que pensez-vous de l’annonce du premier Ministre qui reprend partiellement votre idée ?
Bernard Reynès : Ma première réaction a été la stupeur. En effet, la reprise partielle de ma proposition par le premier Ministre pour augmenter les recettes de l’Etat est beaucoup moins ambitieuse que la mienne. La mesure que j’avais envisagé devait rapporter 550 millions d’euros destinés à compenser la réduction du coût du travail des agriculteurs, contre seulement 125 millions environ qui auront vocation a combler les déficits. Je suis donc déterminé à continuer mon combat. De plus, contrairement à ce qu’a annoncé le premier Ministre, ma proposition ne se plaçait pas sur le terrain de l’hygiène alimentaire, bien que les boissons gazeuses et sucrées ne soient pas diététiquement irréprochables. Sinon, que dire des barres chocolatées, des chips et autres ? Mon approche consistait à dire que ces produits ne sont pas des denrées alimentaires. De manière un peu provocante, j’ai pour habitude de dire que l’on n’a jamais vu une bouteille de Coca-Cola pousser sur un arbre. Ce ne sont donc pas des produits alimentaires, ce qui m’amène à dire que ces boissons gazeuses et sucrées ne devraient pas bénéficier de la TVA à 5,5%. C’est en quelque sorte une niche fiscale qui en porte pas son nom. En revanche, baisser de 1 € le coût du travail des producteurs de fruits et légumes coûte 386 millions d’euros. Ma proposition permettait donc de financer largement ce gain de productivité pour la filière française.
- agro-media.fr : Et donc suite à cette annonce, que comptez-vous faire pour défendre votre proposition ?
Bernard Reynès : Le travail continu. J’ai réuni fin juillet un groupe de parlementaire et non des moindres puisqu’il compte entres autres Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, Charles de Courson, vice-président de la commission des finances à l’Assemblée Nationale, plus une dizaine d’autres députés, avec lesquels j’entend rédiger les deux amendements au projet de Loi de finance. Début septembre, j’ai rendez-vous avec le SGAE, Secrétariat Générale aux Affaires Européennes pour nous assurer que notre proposition n’a pas de risque d’euro-incompatibilité. J’ai également rendez-vous à Bruxelles avec cette délégation de députés avec lesquels je travaille, puisqu’il s’agit d’un travail collégial, au niveau de la Commission agricole européenne. Enfin, à la rentrée, je mobiliserai les parlementaires autour de ce projet pour essayer de faire passer cette mesure.
- agro-media.fr : Le 23 août denier, vous vous êtes rendus à Perpignan avec Bruno Le Maire. Que pensez-vous des solutions proposées par le ministre de l’Agriculture ?
Bernard Reynès : Durant la table ronde, M. Le Maire a cité une dizaine de fois mon rapport. Donc cela signifie qu’au ministère de l’Agriculture, on croit aux propositions de ce rapport. Je remarque également que le Président de la République, lors de sa visite à Chateauneuf-du-Pape avait cité également trois fois mon rapport, le qualifiant d’excellent. Ma question est la suivante : est-ce-que la proposition du premier Ministre, et donc du Gouvernement, et celle du Président de la République sont les mêmes ? Je n’en suis pas sûr. Si Bruno Le Maire s’attarde autant sur mon rapport, c’est que le ministre de l’Agriculture sait que ce que je propose correspond à uen forte attente du monde agricole. Rappelons que la crise actuelle est liée en grande partie à la perte de compétitivité des exploitations françaises, notamment à cause des charges qui pèsent sur les salaires, qui connaissent en Europe des écarts de 1 à 20. Il faut donc rapidement s’attaquer à ce problème. Et je tiens également à rappeler que le premier Ministre, lors du Congrès de la FNSEA à Saint-Malo a dit qu’il soutenait ce rapport. Il faut donc aller jusqu’au bout des choses et ne pas payer les agriculteurs avec des mots.
- agro-media.fr : Pensez-vous que le gouvernement, malgré la modification de votre proposition, proposera d’autres solutions pour s’attaquer à ce problème du coût de la main d’œuvre agricole ?
Bernard Reynès : Deux options sont possibles. Ou le gouvernement revient sur ses déclarations et adopte ma proposition en termes de recettes, ou il en cherchera une autre. Dans tous les cas, les députés feront des propositions. Je vais pour ma part continuer à défendre ma proposition de TVA à 19,6%. Mais dans tous les cas il faudra aboutir.
- agro-media.fr : Après votre rapport sur la relance de la compétitivité de l’agriculture, allez-vous continuer à vous engager pour défendre les intérêts de ce secteur d’activité à travers d’autres travaux ?
Bernard Reynès : Je le souhaite ardemment. Un autre sujet très important pour l’agriculture concerne la valorisation des produits français. Voilà une piste de travail sur laquelle je souhaiterai m’engager. En clair, si vous allez en Angleterre, vous verrez un grand drapeau anglais épinglé sur les produits d’origine anglaise. En France, on ne met pas assez en avant le produit français. Nos produits sont chers, mais nos produits sont de très grande qualité. Il faut donc sensibiliser le consommateur à acheter français. Mais cela nécessite de créer une labellisation France, voir même des déclinaisons en labellisation régionales, avec un affichage directement sur le produit. Il faut reconquérir le marché intérieur. Et ce combat concerne aussi la grande distribution, qui, très clairement, ne valorise pas les produits d’origine française. La grande distribution a failli à ces deux mission historiques : faire baisser le coût du panier de la ménagère (en Allemagne, il y a deux fois moins de grandes surfaces mais le panier de la ménagère est 4% moins cher), et écouler les volumes de production. La reconquête du marché intérieure par la labellisation des produits français est à mon sens une piste intéressante.
- agro-media.fr : Concernant à la grande distribution, le Député-Maire de Nice, Christian Estrosi, a récemment proposé de limiter les marges de la grande distribution sur certains produits alimentaires dits de grande nécessité à 20%. Que pensez-vous de cette proposition ?
Bernard Reynès : Pour ma part, je suis devenu sceptique sur toutes les législations qui concernent la grande distribution. Les lois Royer, Raffarin, la LME, et la LMA ont toutes été contournées. Il faut que la production s’organise, 350 000 producteurs face à quatre grandes centrales d’achats. Il faut organiser la production pour qu’elle puisse peser beaucoup plus fortement dans ce rapport de force totalement inégalitaire. Dans mon rapport, il y a trois niveaux de propositions. Des mesures à court terme applicables dès janvier 2012, mais il y a aussi à moyen terme le débat sur la TVA sociale. Je demande à travers mon rapport la mise en place de cette TVA sociale à titre expérimental sur l’agriculture, car c’est le secteur qui souffre le plus de la concurrence. C’est donc un enjeu fondamental pour l’agriculture, et pour l’économie nationale en général.
Nous remercions le Député Bernard Reynès pour avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Guillaume Théron.