Le 12 mars 2012, nous vous expliquions dans un article que le groupe de distribution régional Coop Alsace allait se rapprocher de Leclerc et Casino afin de signer un partenariat. En effet, les Coop Alsace sont dans une situation économique difficile qui a poussé Christian Duvillet, le PDG du groupe, à se rapprocher de ces deux géants de la distribution. Pour l’Association régionale de soutien aux Coop Alsace, ces alliances pourraient être à l’origine entre autres de licenciements massifs et de la disparition de magasins de proximité dans les petites communes alsaciennes.
Où en est le projet ? Comment l’Association régionale de soutien aux Coop Alsace essaie-t-elle de s’opposer à ces rapprochements ? Quels pourraient être les conséquences de ces derniers ? Quel plan propose-t-elle pour sauver les Coop Alsace ?
Agro-media.fr a interviewé Philippe Spitz, le président de l’association, qui nous donne son point de vue sur ce conflit régional.
Pourriez-vous brièvement nous présenter l’Association régionale de soutien aux Coop Alsace et votre rôle au sein de celle-ci ?
« Philippe Spitz, je suis le président de l’Association régionale de soutien aux Coop Alsace. Cette association a été créée officiellement le 8 décembre 2011, par un certain nombre de gens inquiets de la situation du groupe coopératif Coop Alsace. Le jour de la création, il y avait environ 120 adhérents-citoyens et deux vice-présidents. Le premier s’appelle Jean-Louis Christ et est député-maire de Ribeauvillé – UMP, dans le Haut-Rhin, et le second est député d’une ville dans le Bas-Rhin – PS, cette association se veut œcuménique. Sept députés, une sénatrice et une quarantaine de maires des communes d’Alsace nous ont ensuite rejoints. »
Pouvez-nous nous présenter les Coop Alsace ?
« L’Alsace et la Lorraine ont depuis longtemps une histoire un peu particulière avec l’Allemagne et la Suisse. Il y avait à la fin du 19e siècle et au début du 20e un mouvement qui s’appelait Raiffaissen. Il s’agit d’un mouvement coopératif émanant des citoyens, qui s’unissaient pour acheter ou faire des prêts ensemble, par exemple. C’est ainsi que sont nées les banques coopératives comme le Crédit Mutuel ou le Crédit Agricole et toutes les banques populaires, mais aussi tout un nombre d’organismes comme les Coop Alsace. Ces commerces de proximité étaient alors divisés géographiquement et ils ne se sont rassemblés que dans les années 50. Or, à cette époque, il n’existait pas de grandes surfaces ; ils étaient alors très modernes.
La particularité des Coop est qu’elles appartiennent à leurs sociétaires, qui sont au nombre de 170 000. Ils en sont propriétaires. Le principe des Coop est que les bénéfices ne sont pas reversés à des investisseurs privés mais bien à l’ensemble de la communauté des sociétaires, ce qui permet aussi d’installer des magasins dans des petites communes dans lesquelles il n’y en aurait pas sinon. Nous avons en Alsace 120 à 130 communes qui ont entre 400 et 2 000 habitants, et si les Coop disparaissent, elles ne verront pas l’installation de nouveaux magasins.
Les Coop Alsace permettent aussi de favoriser les circuits courts, en faisant travailler énormément de producteurs locaux, aussi bien dans l’agro-alimentaire que dans d’autres secteurs. Si les Coop ferment, par exemple, ou si elles sont affiliées à Casino ou à Leclerc, une centaine d’agriculteurs dans le Bas-Rhin disparaîtront dans les deux ans. Les Coop sont vraiment un système très moderne pour cette époque-là et jusqu’à maintenant. Elles ont en interne une boucherie-charcuterie, une boulangerie, … Elles permettent de faire travailler en Alsace 3500 personnes directement, c’est le deuxième employeur privé de la région. Elles assurent aussi 1500 emplois indirects. »
Comment expliquez-vous les difficultés de Coop Alsace ?
« Le groupe Coop est en difficultés depuis 1999. Il est géré par un conseil d’administration (CA) incompétent et vieillissant. Beaucoup de choses ont avancé ces 10 dernières années en matière de distribution, or les membres du CA sont un peu âgés et n’ont pas compris ces évolutions. Ils ont fait appel depuis deux ans à des PDG qui viennent du secteur privé. Le dernier est un ancien banquier, il a été patron du Crédit Lyonnais pendant très longtemps. Il est aujourd’hui à la retraite. Il a appliqué sur les six derniers mois un plan capitalistique traditionnel de résolution du problème. Ce dernier est à priori financier, mais pas insurmontable. Il y a en effet 130 millions d’euros de dettes, mais 676 millions d’euros de chiffre d’affaires et à peu près 400 millions d’euros d’actifs. Il ne faut donc pas exagérer sur la difficulté réelle des Coop.
Pendant 10 ans, Coop Alsace a été géré en bon père de famille, on a laissé passer malheureusement un certain nombre d’opportunités d’amélioration. Il y a eu une mauvaise gestion du personnel, une non-réfection des magasins… Le tout est obsolète, un peu poussiéreux, mais ça représente tout de même une réalité commerciale. »
Que propose le conseil d’administration de Coop Alsace ?
« Le PDG propose un démantèlement capitalistique traditionnel des Coop Alsace en quatre sociétés.
- La première société anonyme va gérer les supermarchés les hypermarchés. Pour l’instant, la Coop est censée être majoritairement cette société dans laquelle Leclerc va rentrer et reprendre 40 %, avec une minorité de blocage.
- Néanmoins, nous pensons que Leclerc va devenir propriétaire de cette SA à court terme (dans un ou deux ans), car il y a une société foncière qui a été créée avec les murs et les sols des hypers et des supermarchés. Or, dans cette société foncière, Leclerc est majoritaire à 74 % et il y a des investisseurs privés.
- Une troisième société foncière devrait aussi être montée, comprenant le siège et d’autres éléments de la Coop.
- Enfin, une quatrième société rassemblera tous les actifs sans avenir : les 160 magasins de proximité, la boucherie-charcuterie, la boulangerie et la plate-forme de distribution desservant les Coop dans leur ensemble. Leclerc va bien entendu livrer en direct les hypermarchés, ce qui entraînera une perte évidente de travail et donc d’exploitation de cette plate-forme.
Casino avait été approché au mois de décembre pour reprendre les 160 magasins de proximité. Ils ont jeté l’éponge très vite, mais on les comprend car Casino n’a pas de salariés alors que là il y avait 600 salariés en jeu sur les magasins de proximité qu’il fallait reprendre et Casino n’en a pas voulu. Ils ont bien compris qu’il valait mieux attendre que les magasins ferment et qu’ils puissent récupérer les 15 ou 20 qui sont les plus rentables une fois qu’ils seront en liquidation, c’est beaucoup plus intéressant pour eux. »
Quelle solution proposez-vous pour éviter cela ?
« L’association et les élus qui sont autour de nous sont très en colère car les sociétaires ont été spoliés. Or, nous sommes toujours propriétaires, mais personne ne nous a rien demandé. C’est un constat. La deuxième chose, c’est que les maires se posent beaucoup de questions sur ce démantèlement car si les magasins de proximité disparaissent, personne n’a les moyens d’en installer d’autres. Nous demandons que soit étudié un sauvetage coopératif. Nous n’avons pas les chiffres financiers de la Coop, on refuse de nous les donner. Il n’y a pas que nous, j’ai rencontré de nombreux élus et personne n’a les mêmes chiffres. Nous voudrions que soit étudié l’aspect coopératif, comme par exemple les coopératives d’intérêt collectif qui existent depuis une dizaine d’années. C’est une piste qu’il faut explorer pour au moins savoir s’il est possible de sauver les Coop ou pas. »
Quelles sont les actions menées par l’association ?
« Nous organisons des Apéro’Coop, qui ont pour objectif de soutenir les salariés de la Coop et de montrer la mobilisation autour des Coop Alsace. Nous nous apercevons que chaque fois que nous faisons un Apéro’Coop, il y a une augmentation du chiffre d’affaires constante ensuite. La direction actuelle ne veut pas communiquer là-dessus car nous sommes en période pré-électorale. Il y a une volonté par les grands élus et par la direction de minimiser la situation.
Nous continuons aussi à faire du lobbying et à rencontrer le plus possible de partenaires pour les convaincre au fur et à mesure. Petit à petit, notre idée qui, il y a six mois encore, paraissait “sympathique” (on nous a traités de doux rêveurs) commence à être étudiée par certains services régionaux ou départementaux et dans des structures connexes aux collectivités territoriales. »
Pensez-vous que l’ensemble des commerces de proximité français sont menacés par les grandes enseignes de distribution ?
« Oui, très clairement. Le système actuel est mis en place depuis les années 80/90. Il y a eu une véritable attraction hors des villes et maintenant on s’aperçoit que les gens n’ont plus tendance à fréquenter les commerces des centres-villes. Il y a aussi ce phénomène nouveau des travailleurs pauvres, qui n’ont pas les moyens de prendre leur voiture pour aller à l’extérieur des villes, donc ils se retrouvent captifs à l’intérieur des centres-villes et l’on voit bien que les grands groupes de distribution commencent à réinvestir ces derniers. D’abord, ils ont créé à l’extérieur, donc ils ont tué les commerces à l’intérieur des villes, et maintenant ils récupèrent ces commerces. Toutes les grandes enseignes comme Casino, Système U, Cora, Carrefour, etc. réinvestissent les centres-villes avec des petits modules. »
Agro-media.fr remercie M. Philippe Spitz pour avoir accepté de répondre à nos questions.
Propos recueillis par Vanessa Dufus.