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L’industrie d’abattage-découpe de porc au bord du gouffre !

Le SNIV-SNCP a publié un communiqué dans lequel il s’inquiète du devenir de l’industrie d’abattage-découpe de porc. En effet, en 2011 ce secteur a accusé des pertes de l’ordre de 100 millions d’euros ! Agro-media.fr vous diffuse ce communiqué :

 

Pour l’industrie d’abattage et découpe de viande porcine, la maison brûle. Prises en étau, les entreprises manquent d’air et c’est maintenant l’agonie qui les guette : les pertes de l’année 2011 dépassent 100 millions d’euros… Du jamais vu ! En ce début 2012, c’est donc un cri d’alarme et un appel à la responsabilité qu’il convient de pousser pour la filière porcine française. Après plusieurs années de grandes difficultés, les éleveurs ont retrouvé des perspectives. Tant mieux ! Cette évolution était nécessaire pour eux et il convient sans doute de la consolider. Mais combien de temps pense-t-on pouvoir vivre en vase clos alors que nous sommes en réalité dans un marché européen de plus en plus ouvert ? Peut-on s’inscrire dans l’objectif d’être les plus chers en Europe et avoir en même temps des ambitions exportatrices sur des marchés où nos concurrents ont un double avantage : celui d’une matière première moins chère et de coûts de transformation plus compétitifs ? L’embellie risque donc d’être de courte durée si le système s’effondre par l’aval.

Réformer notre modèle pour sortir de la sclérose du marché

A la lecture euphorisante du bilan 2011 du Marché du Porc Breton, c’est certes un tout autre diagnostic que portent les « experts » sur l’état de santé du secteur. « Record de prix depuis 10 ans, forte demande à l’export, situation qui tourne à l’avantage des éleveurs, Objectif 2012 : le cadran à 1,40… » : les raisons de se réjouir seraient nombreuses en ce début d’année. En réalité, elles sont autant d’illusions et de dénis de réalité. Quand sonne le glas pour les entreprises d’abattage-découpe, l’air joué par la fanfare (1) du Marché du Porc Breton ressemble fort à celui de l’orchestre du Titanic… Dans le futur, à quoi serviront les records au marché au cadran si les éleveurs ne sont plus payés par des abattoirs en faillite ?

Osons pour une fois regarder les choses en face. La charge à la fois la plus importante et la plus volatile de la filière porcine est celle de l’alimentation animale et les éleveurs de porcs sont soumis depuis des années aux aléas du marché des céréales et des oléoprotéagineux. Alors, posons cette question : pourquoi l’aval de la filière porcine doit-il toujours être la variable d’ajustement du marché céréalier ? Pourquoi les entreprises d’abattage sont-elles prises à partie, vilipendées, accusées, rendues responsables des difficultés des éleveurs alors qu’aucun compte n’est jamais demandé à l’industrie de l’alimentation animale et au secteur des grandes cultures ? Eux, ne sont jamais critiqués sur leurs marges. Or ce sont les industriels des viandes que l’on retrouve à la barre du tribunal de l’observatoire des prix.

Ainsi, pendant que leurs fournisseurs spéculent, les éleveurs préfèrent s’en remettre au
cérémonial quasi-liturgique du marché au cadran. Cette organisation, qui impose à chaque abattoir un règlement intérieur dans lequel les devoirs (par exemple un quota obligatoire d’achat de porcs) sont bien plus nombreux que les droits, défie en permanence les principes les plus élémentaires de la concurrence. Rappelons encore que le MPB côte un produit virtuel : seulement 3,9 % des carcasses produites en France répondent à la définition du prix de base (2). Cette référence basse a sans doute des vertus concernant l’action syndicale : afficher un cours le plus bas possible aide à légitimer la revendication. Mais, elle gène assurément les entreprises d’abattage-découpe pour établir une chaîne de valeur suffisante face à des clients qui peuvent prendre en référence un « prix cadran » sciemment sous-évalué et les met en situation de faiblesse. Sur ces seuls constats, on peut se demander si la France n’aurait pas la filière porcine la plus bête du monde !

Reprendre la main sur le marché européen

Aujourd’hui, nous voulons dire la vérité : ce modèle, si puissant pour porter le développement durant les « 30 glorieuses » de la filière porcine, est à bout de souffle. Il ne crée plus de développement ; il ne crée plus de valeur. Cette réalité s’exprime dans les chiffres : la production porcine française a commencé son déclin. En 15 ans, de 1986 à 2000, les abattages français de porcs ont progressé de 1,7 à 2,1 millions de tonnes (+ 25%). Dans la décennie qui a suivi, ils ont stagné puis amorcé une baisse à 2 millions de tonnes (-5%).
Dans le même temps, entre 2000 et 2009, la production allemande bondissait de 23%,
l’Espagne augmentait de 17%, le Danemark de 15% et même l’Italie de 14%.

Pire, ce modèle sclérosé fait de l’économie porcine française le marchepied sur lequel les pays concurrents prennent appui pour s’arbitrer. En 2003, une pièce de porc sur six commercialisées en France n’était pas d’origine française ; en 2010, cela représente une pièce sur cinq : sur la seule année 2010, les importations de pièces de porcs, principalement en provenance d’Espagne et d’Allemagne, ont augmenté de 3,9%. L’Espagne déverse aujourd’hui 280.000 tonnes de pièces de porc, principalement des jambons, sur le marché français et les importations allemandes ne cessent de croître avec 75.000 tonnes. Au-delà de la matière première à très bas prix, ces pays apportent aujourd’hui sur le marché français de la valeur ajoutée et du service grâce à leur faible coût de main-d’oeuvre.

Le résultat n’est pas glorieux pour la balance commerciale de la France déficitaire de 115 millions d’euros en 2010 pour l’ensemble du secteur porcin (animaux, viandes et charcuterie), alors qu’elle était régulièrement excédentaire jusqu’en 2006. Concernant les viandes fraîches et congelées, le solde commercial français s’est considérablement détérioré passant de 41,1 M€ en 2009 à 21,1 millions en 2010 et il est presque 7 fois moins important que ce qu’il était il n’y a que 5 ans (141,3 millions d’€ en 2006). Nous avons perdu la main en Europe. Pendant combien de temps encore les thuriféraires du modèle porcin français vont-ils aveuglément nier cette évidence pour esquiver toute remise en question ?

Les entreprises d’abattage-découpe face à leur responsabilité

En réalité, le bilan de l’année 2011 tient en quelques chiffres et il est calamiteux pour
l’industrie.
A l’achat, les cours à la production ont affiché en 2011 leur plus haut niveau depuis 10 ans : le prix de base du marché du porc breton (MPB) s’établit à 1,309 €/kg pour un prix moyen réellement payé aux éleveurs supérieur à 1,50 €. De l’autre côté, à la vente, les conditions du marché et de la concurrence sont de plus en plus rudes, de plus en plus impitoyables.

Pour autant elles ne sont pas acceptables lorsque l’abaissement sans limite des coûts de transformation conduit à restaurer l’esclavagisme dans les abattoirs allemands pour accéder à des coûts de main-d’oeuvre inférieurs à 7 €/h. Par quels dérèglements de l’Europe cela est-il possible ?

Elles ne sont pas acceptables lorsque l’on trouve ces derniers jours dans les linéaires des grands distributeurs français de la longe avec os à 2,19 €/kg et des côtes de porc à 2,29 (donc seulement 10 centimes pour découper et conditionner !) ou de l’épaule de porc à 1,69 soit un prix inférieur à celui de la matière première additionné des coûts d’abattage et découpe ! Par quelle interprétation de la LME cela est-il possible ?

 

Elles ne sont pas acceptables lorsque le prix du jambon frais VPF payé par les salaisonniers est arbitré de façon collective sur celui de l’offre espagnole. Par quel reniement de l’accord interprofessionnel sur l’étiquetage de l’origine cela est-il possible ?
Dans tous les cas, les grands clients imposent, d’une façon ou d’une autre, aux abattoirs français de s’aligner sur le prix européen et verrouillent des conditions d’achat drastiques par des cahiers de charges définis unilatéralement aux termes desquels on voit s’empiler les pénalités, retailles de prix et autres retours de marchandises sans la moindre possibilité de recours vers l’amont. Là encore les entreprises d’abattage-découpe jouent le rôle de variables d’ajustement de la filière. La perte de contrôle du système est telle que, dans certains cas, des obligations légales comme le délai de paiement ne sont même plus respectées…

 

Côté consommation, rien ne va plus : le modèle français pense soutenir la consommation en alimentant un flux de porcs poussés de l’amont vers l’aval, alors que tous les modèles performants d’aujourd’hui sont tirés par la demande. Le résultat se lit dans l’actuelle baisse historique de la consommation de viande de porc (-3,3% en 2011 selon KantarWorld Panel), alors que la volaille consolide sa position dans les linéaires. Un exemple à venir de cette impasse stratégique concerne la qualité des viandes et leur acceptation par les consommateurs : il reste peu de temps avant de voir dans nos abattoirs des porcs non castrés (parce qu’il en va de l’intérêt économique des éleveurs) tandis que les cahiers des charges des salaisonniers en refuseront la viande… On le voit, ce modèle ne peut qu’entraîner de nouvelles baisses de consommation dans le futur.

Résoudre la crise structurelle du modèle industriel

Le résultat de cette situation est sans appel : les entreprises d’abattage-découpe suffoquent au point d’être aujourd’hui en danger de mort. Certes, la finalité économique de ces entreprises n’est pas la même selon qu’elles sont indépendantes, coopératives ou filiales de groupes de distribution. De nombreux déséquilibres proviennent de ces différences structurelles qui n’interpellent personne, mais conduisent à des divergences stratégiques expliquant une partie du désordre actuel.

Or les règles et les conditions du marché s’imposent à toutes les entreprises : avoir un comportement loyal sur le marché, connaître les coûts, optimiser sa compétitivité, définir le vrai prix de revient et ceci sur tous les produits : pièces de découpe, produits demi sel, viandes piécées, saucisserie… Plus on va vers le produit élaboré, vers ce que certains pensent être l’eldorado de la valeur ajoutée, plus en réalité on n’a que des coûts ajoutés. Soumises au carcan du modèle économique actuel, les entreprises en perdent leur capacité à respecter les principes économiques de base. Cette crise structurelle de la politique industrielle du secteur a atteint son paroxysme en 2011, entraînant l’ensemble des opérateurs dans une paupérisation extrême.

100 millions de pertes au bas mot : ce chiffre vertigineux suffira-t-il à une prise de conscience collective pour changer les choses ? A un moment où la situation devient critique en France pour l’emploi industriel, nos gouvernants doivent savoir que le déclin de la filière porcine française est aussi le résultat d’une passivité coupable des pouvoirs publics à son égard.

La dégénérescence économique s’installe dans cette filière et la spirale de la destruction de valeur tourne à plein régime faisant plonger tous les maillons économiques. Il n’y a pourtant pas de fatalité à ce que la viande porcine, par la banalisation qui en est faite à tous les niveaux, conserve le triste record de protéine animale la moins chère du marché en France, et en Europe, alors qu’on la retrouve bien mieux valorisée dans les linéaires des magasins russes ou chinois ! Une exception qui ne pourra pas durer…

L’hémorragie est déjà abondante, mais le pire peut encore être évité. Il faut pour cela accepter beaucoup de remises en cause et s’engager dans une réforme profonde du modèle économique. En ferons-nous un consensus ? En aurons-nous le courage ? En trouverons-nous la volonté ? Il nous reste peu de temps pour agir dans ce qui devrait être un véritable « Grenelle de la filière porcine française ». Il est plus que temps de redresser la tête et de se retrousser les manches. Des milliers d’emplois sont en jeu.


(1) cf le journal Les Marchés du 2 janvier 2012
(2) Le MPB côte un porc à 56 points de TMP alors que la moyenne des carcasses est aujourd’hui à 61 points (soit un différentiel de 21 ctes/kg). “

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