Le virus de Schmallenberg sévit dans plusieurs pays européens. En France, 28 départements sont touchés à ce jour et ce nombre ne cesse d’augmenter. Mais quel est ce nouveau virus ? Quels sont les vecteurs de la maladie ? Comment affecte-t-il les animaux ? Comment s’en protéger ?
Agro-media.fr a posé toutes ces questions et plus encore à Thomas Balenghien, chercheur au CIRAD et entomologiste vétérinaire.
Pourriez-vous brièvement vous présenter ?
« Je m’appelle Thomas Balenghien, je suis entomologiste vétérinaire, ce qui signifie que je travaille sur les insectes en tant que vecteurs de maladies transmises aux animaux, lesquelles peuvent être éventuellement transmises à l’homme. Je travaille au CIRAD, qui est le Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement. »
Le virus de Schmallenberg sévit actuellement dans toute l’Europe. Au jour d’aujourd’hui, combien de pays sont touchés ? En France, combien d’exploitations et de départements sont victimes du virus ?
« On retrouve le virus en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Angleterre, en France, au Luxembourg et en Italie. En France, nous en sommes à 277 élevages infectés (ndlr : le 01 mars 2012) dans 28 départements différents. »
Sait-on d’où provient le virus ?
« Non, pas du tout. Sa provenance est inconnue. »
Quelles sont les particularités de ce virus, ses effets sur les animaux ?
« Nos collègues allemands ont isolé le virus et ont observé chez des vaches adultes des épisodes d’hyperthermie, de diarrhées, et des chutes de production lactée. Ces symptômes sont assez communs, ils peuvent être causés par différents types de virus. La particularité du virus de Schmallenberg est qu’il provoque de la mortinatalité et des malformations congénitales. Nous avons donc des animaux qui naissent malformés et non viables. Voilà les conséquences cliniques qui ont pu être repérées à l’heure actuelle. »
Est-il possible d’identifier les animaux porteurs du virus via un test sérologique ?
« Pour l’instant aucun test sérologique n’est disponible, donc nous ne pouvons pas identifier les animaux qui auraient pu être atteints pendant la période de transmission. A priori celle-ci a eu lieu à la fin de l’été et au début de l’automne. En revanche nous avons un test d’amplification et d’identification du génome du virus qui permet de savoir si les animaux qui naissent malformés le sont en raison du virus de Schmallenberg ou pas. On pourrait imaginer utiliser ce test sur des animaux adultes au moment de la transmission. »
Y a-t-il des porteurs sains ?
« Nous ne savons pas pour le moment. Nos collègues allemands qui ont fait des observations expérimentales ont montré que la durée de vie du virus (son temps de présence dans le sang des animaux) était très courte. L’inconnue est : pourrait-il y avoir des animaux qui ont été infectés in utéro et qui ne montrent aucune conséquence clinique et de fait vivent tout en étant porteurs du virus ? C’est le cas pour d’autres maladies. Pour l’instant nous n’avons aucune preuve à ce sujet. »
Les ovins semblent les plus touchés par le virus. Comment cela peut-il s’expliquer ?
« Il est un peu tôt pour établir le constat que les ovins seraient plus touchés que les bovins, dans la mesure où les périodes de mises bas commencent, que ce soit chez les ovins ou chez les bovins. Au fur et à mesure de la période des mises bas, nous allons pouvoir identifier les élevages qui présentent des conséquences cliniques du virus. Ensuite, il nous faudrait un outil sérologique pour connaître exactement l’étendue de la maladie et pouvoir commencer à déduire que cela touche plus les ovins que les bovins, ou qu’ils sont affectés de la même manière mais que les malformations évoluent plus facilement chez les ovins, etc. Pour l’instant nous n’avons pas assez de données pour faire ces constats-là. »
On observe que les départements touchés se situent dans le nord de la France. Pensez-vous que le virus est susceptible de s’étendre à l’ensemble du pays ?
« Les départements de la Charente et de la Haute-Vienne ont été touchés. On peut donc penser que tous les départements qui se trouvent entre ceux-ci et le nord-est sont des zones où le virus a été transmis mais où il n’a pas encore été mis en évidence. »
Y a-t-il un risque de transmission à l’homme ?
« Non. Le terme officiel est « très hautement improbable ». Etant donné qu’il s’agit d’un virus nouveau, par principe de précaution, on ne peut totalement l’affirmer. Mais, nous sommes quasiment sûrs qu’il n’y en a pas. Des études ont été menées par l’ECDC (European Centre for Disease Control), qui est l’organisme européen qui s’occupe de l’expertise en cas de maladies transmissibles à l’homme. Il a constaté que les virus proches du virus de Schmallenberg n’étaient pas transmissibles à l’homme. Il n’a pas trouvé de cas humain, même chez les éleveurs qui auraient pu être exposés au virus. Une enquête plus approfondie pour essayer de trouver des cas humains est en cours, mais pour l’instant il n’y en a pas. »
Quels sont les vecteurs de la maladie ?
« La découverte du virus est vraiment récente, donc on ne sait pas encore beaucoup de choses sur lui. Cependant, il est proche d’autres virus comme celui d’Akabane, qui est transmis par des culicoïdes, qui sont des petits moucherons hématophages. Ce sont eux aussi qui transmettent la fièvre catarrhale ovine (FCO). Les épisodes cliniques chez les adultes ont eu lieu à la fin de l’été ou au début de l’automne, saisons au cours desquelles on voit classiquement les maladies vectorielles naître. L’aire de répartition du virus, et notamment le fait qu’il ait passé la Manche et qu’on le retrouve dans l’est de l’Angleterre, font aussi penser à la FCO et au transport du virus par des culicoïdes infectés. Tout cela permet de penser que ce sont des culicoïdes qui sont vecteurs de la maladie. Le virus d’Akabane a aussi été décelé sur des moustiques, même si l’on n’est pas sûrs qu’ils puissent transmettre la maladie. Nous pensons qu’il s’agit plutôt des moucherons, mais par précaution nous nous intéressons aussi au rôle des moustiques. »
Au printemps prochain, ces vecteurs feront leur retour. Les éleveurs peuvent-ils prévenir la propagation du virus ? Si oui, comment ?
« Il est assez difficile de prévenir la propagation, notamment si les vecteurs sont bien des culicoïdes. Il y a peu ou pas de méthodes efficaces connues. Le meilleur moyen pour un éleveur, mais c’est compliqué, serait de ne pas faire entrer d’animaux sans connaître leur statut, étant donné qu’il n’y a pas d’outil de diagnostic. Les insecticides ont été relativement peu testés contre les culicoïdes. Ils l’ont surtout été contre les tiques et les mouches. Sur ces bases-là, il a été préconisé d’utiliser l’insecticide pour prévenir la piqûre des culicoïdes. Il y a eu peu d’évaluations réellement de leur efficacité contre les culicoïdes. Nous avons donc peu d’éléments pour dire que cela sera efficace. »
Un vaccin est actuellement en préparation. Quand peut-on espérer sa mise sur le marché ?
« En général, les délais de production de vaccins sont au minimum d’un an, pour la FCO ils ont commencé à être disponibles 18 mois après l’apparition de la maladie. Ensuite, si, comme pour la FCO, l’ensemble des pays européens demande des doses, il faudra que la production suive. Je me souviens que dans le cas de la FCO, les doses étaient disponibles au bout de 18 mois mais au compte-goutte. A priori, cela n’ira pas plus vite pour le virus de Schmallenberg. »
Pensez-vous que le virus de Schmallenberg aura des répercussions sur les filières d’élevage ? Sur le marché des viandes ?
« Au niveau des filières d’élevages, tout dépend de l’importance du virus en termes de nombres d’élevages et d’animaux infectés. De là, on pourra établir une estimation de l’impact sanitaire et des conséquences que cela peut avoir sur le renouvellement du cheptel au niveau d’un élevage donné. Après, tout dépend aussi du devenir de la maladie en termes de réglementation : est-ce que cela sera réglementé ou pas et quelle sera l’attitude des pays tiers pour l’importation d’animaux ? Pour l’instant aucune réglementation n’a été mise en place, il n’y a pas de restriction particulière. »
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Agro-media.fr remercie M. Thomas Balenghien pour avoir accepté de répondre à nos questions.
Propos recueillis par Vanessa Dufus.