Sommaire
L’essor du « Made in France » illustre le besoin qu’ont les consommateurs de soutenir l’économie locale et de protéger l’environnement en choisissant des aliments produits localement. Au-delà de la frontière nationale, de plus en plus de consommateurs privilégient les produits régionaux, et même locaux. Cette nouvelle tendance socio-comportementale émerge en réponse à la crise et s’illustre aujourd’hui comme un véritable relais de croissance pour les industriels agroalimentaires.
Qu’est-ce que le locavorisme ? Qui en profite ? Comment les distributeurs tentent-ils de surfer sur cette tendance ? Serons-nous tous locavores demain ?
Agro-media.fr se penche pour vous sur une tendance en plein essor, le locavorisme.
Locavorisme : qu’est-ce que c’est ?
Le locavorisme est une nouvelle tendance socio-comportementale qui émerge. Les « locavores » font le choix de ne consommer que des produits locaux. Leurs motivations résident en premier lieu dans le soutien de l’économie locale, mais aussi dans la sauvegarde de l’environnement.
Mais qu’est-ce qu’un produit local ? A vrai dire, cette notion est floue et n’a pas de définition légale. Aux Etats-Unis, la notion de « one hundred miles » s’est développée. Selon ce principe, un produit est local lorsqu’il provient de moins de 100 miles du consommateur, soit 160 km. Cependant, les avis divergent à ce sujet.
Dominique Amirault, le président de la FEEF, donne son point de vue : « A mon sens, les produits de toute une région, comme la Provence, sont des produits locaux ; sans quoi, on réduit l’offre aux seuls produits agricoles, sans tenir compte des PME qui soutiennent l’économie locale ».
Valérie Lobry, la directrice générale de la division agriculture et alimentaire de Comexposium, qui organise le SIAL, pense quant à elle que : « Les produits régionaux répondent d’abord à une culture, comme celle de la Méditerranée, de Normandie, d’Alsace, de Toscane, et ils sont à la mode partout dans le monde ».
Alain Pardon, patron de l’offre pour Cora-Match, estime au contraire que : « Du cassoulet toulousain à Toulouse, c’est de l’offre locale, mais pas dans le Limousin ! Cependant, il faut distinguer le produit local, qui fournit un ou deux magasins, et le produit régional, qui peut répondre à une dizaine de magasins ou plus. Et les deux offres se complètent ».
Malgré tout, les locavores tolèrent souvent des exceptions, dites exceptions Marco Polo, pour le thé, le café, le chocolat ou les épices, qu’il est impossible de se procurer localement.
L’essor des circuits courts
La notion de circuits courts apparaît simultanément au Japon et aux Etats-Unis, dans les années 60-70. Des consommateurs se regroupent alors pour s’approvisionner en produits “sains” en s’engageant auprès d’un producteur à lui acheter régulièrement sa production, souvent en payant à l’avance sur la base d’un prix fixé en commun. Liés initialement à des courants philosophiques ou des mouvements sociaux, mais aussi encouragés par les multiples contaminations de l’alimentation industrielle, ces systèmes, appelés alors « teikei » au Japon et CSA (Community-Supported Agriculture) aux Etats-Unis, étaient et restent fondés sur des principes qui combinent méthodes de production naturelles (exigées biologiques au Japon), respect de l’environnement, entraide, équité et démocratie.
En pratique, ils peuvent permettre l’installation progressive de producteurs. Les AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), nées en France dans la région Provence à la fin des années 90, s’inscrivent directement dans la lignée de ces systèmes.
Les circuits courts peuvent être définis comme des circuits permettant une plus grande proximité entre producteurs et consommateurs. Cette proximité peut être géographique ou organisationnelle :
- La proximité géographique concerne la distance spatiale entre aires de production et de consommation,
- alors que la proximité organisationnelle évoque le nombre d’acteurs s’insérant dans la relation verticale entre producteurs et consommateurs.
Il est possible de distinguer les circuits courts comprenant un intermédiaire des circuits ultra-courts où la transaction s’effectue directement entre producteurs et consommateurs.
Bien que les circuits courts semblent actuellement très en vogue, il est intéressant de constater que la part des exploitations en vente directe par rapport au nombre total d’exploitations agricoles françaises diminue (27% en 1988 contre seulement 15,6% en 2007 selon les chiffres du Service de la Statistique et de la Prospective du Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Pêche).
Les filières ayant le plus recours à ce type de circuits sont les filières maraîchères, horticoles et vinicoles.
Les circuits courts présentent sept intérêts majeurs selon Jean-Baptiste Traversac, auteur de l’ouvrage « Circuits courts : contribution au développement régional », paru en 2011 aux éditions Educagri :
- permettre une meilleure captation de la valeur par les producteurs,
- rétablir leur pouvoir de négociation,
- réduire leur sensibilité aux aléas de production,
- leur permettre de contrôler en partie certaines externalités (comme les labels),
- favoriser la diversité de l’offre alimentaire,
- satisfaire une forme personnelle de fonction d’utilité des exploitants,
- et favoriser la reterritorialisation de l’agriculture.
Les circuits courts sont l’un des piliers du locavorisme. Ils permettent en effet aux consommateurs de relocaliser leur alimentation, tout en créant un lien entre ces derniers et les producteurs.
Il existe de nombreux types de circuits courts (AMAP, vente à la ferme, vente par internet, vente en direct sur l’exploitation,…) qui sont adaptés aux attentes des consommateurs mais aussi aux possibilités des producteurs. Néanmoins, les circuits courts permettent de commercialiser majoritairement des produits bruts, n’ayant subi aucune transformation (à l’exception de ceux transformés à la ferme). D’autres types de valorisations proposées par les industriels, les distributeurs ou encore les collectivités territoriales permettent aux consommateurs de s’approvisionner en produits transformés localement.
Les industriels, les distributeurs et les régions mettent aussi en avant les produits locaux
Pour contrebalancer les circuits courts, des marques ayant une connotation locale ou régionale émergent. Les industriels communiquent autour de l’implantation de leurs usines ou du choix local de leurs matières premières quand les distributeurs développent des MDD spécialisées (comme « Nos régions ont du talent » de Leclerc ou « Reflets de France » de Carrefour) et que les régions éditent leurs propres labels.
Un exemple industriel : Candia et « Le lait de ma région ». Le groupe Sodiaal a lancé le 1er mai 2011 cette marque pour identifier les laits UHT demi-écrémés collectés, transformés, conditionnés et vendus dans une même zone géographique. Quatre zones ont été définies :
- Rhône-Alpes,
- Pays de Loire,
- Plaines du Nord
- et Pyrénées.
Le succès a aussitôt été au rendez-vous : en un an, 3,2 millions de litres ont été vendus sous cette nouvelle marque. Candia projette d’étendre son lait des régions à l’Aquitaine et Midi-Pyrénées.
Du côté de la distribution, la présence de produits locaux en magasins ne cesse de croître. Les enseignes multiplient les promotions évènementielles à leur propos dans leurs magasins. Et chacun s’en vante !
Ainsi, Alain Pardon, le responsable relations PME de Cora-Match, affirme que : « Compte tenu de l’importance de nos achats, 37% de nos fournisseurs livrent en direct un ou deux magasins, sans passer par la centrale et la codification. De vrais fournisseurs locaux ! »
Chez Auchan, les marques collectives comme Bienvenue en Gourmandise et Produit en Bretagne sont bien présentes en magasin. Christian Delesalle, directeur des partenariats, explique que : « Les vrais produits locaux s’adressent à un ou deux magasins et représentent entre 1,5% et 3% du chiffre d’affaires alimentaire. Mais ces produits ont un statut et des racines auxquels les clients sont très sensibles ».
La responsable du développement de l’offre locale de Casino, Sabine Pélissier, fait valoir quant à elle que : « L’offre locale doit rester du domaine des producteurs, des artisans et des TPE. Nous proposons 250 à 450 références sélectionnées pour leur goût et leur authenticité. Plus la production est proche du magasin, mieux c’est ». En pratique, Casino développe ainsi son offre locale grâce à son concept Le Meilleur d’ici, qui assue que les produits proviennent de moins de 70 km de distance du magasin, chacun comptant en moyenne entre 25 et 40 fournisseurs locaux.
Enfin, l’offre locale d’Intermarché est uniquement du ressort des magasins, même si les régions ou la centrale échangent des expériences et des adresses de fournisseurs. Daniel Sberna, adhérent direction sourcing et PME détaille : « L’offre locale ne représente que 2 ou 3% des ventes du magasin, mais 80% des ventes de légumes, que je vends à prix coûtant, car ils sont devenus trop chers et les gens en mangent trop peu ».
Depuis de nombreuses années, la région Bretagne communique autour de ses produits, qui bénéficient de la marque collective « Produit en Bretagne ». Cette dernière, lancée en 1994, fait figure de pionnier, de référence et de chef de file pour les autres marques territoriales françaises.
Il faut dire que les produits bretons sont nombreux, et que de fait les locavores bretons n’ont aucune difficulté à s’approvisionner. Depuis 2001, la région Bretagne sélectionne même les meilleures nouveautés estampillées « Produit en Bretagne ». Cette année, les six lauréats qui ont été distingués sont :
- le cola Breizh Cola Stévia,
- la crème fraîche épaisse biologique Bio nat’,
- les Gravlaks Saumon Basilic de Guyader,
- les Madeleines chocolat extra moelleuses de Ker Cadélac,
- les Bouchons de Bretagne pur beurre de Mad é Breizh
- et les Chips bio nature de Bret’s.
Le message de « Produit en Bretagne », comme celui des autres marques régionales, est simple : « En consommant Produit en Bretagne, je soutiens l’emploi et l’environnement en France et dans ma région », voici ce que l’on peut lire sur l’une des affiches de la marque. Pour adhérer au réseau, les entreprises doivent posséder un centre de décision en Bretagne, partager les valeurs de l’association, être agréées par les responsables qualité d’entreprises déjà membres et le produit doit être fabriqué dans la mesure du possible avec des ingrédients bretons.
Isabelle David-Buchet, directrice de l’IRQUA Normandie, estime que : « Les marques régionales marchent d’autant mieux qu’il existe un chauvinisme “positif”. C’est particulièrement vrai pour la Bretagne. Les Normands sont plus modestes et discrets mais nous essayons précisément de développer une fierté régionale grâce à Bienvenue en Gourmandie ».
La marque régionale Alsace vient tout juste d’émerger, sous l’impulsion de l’Association Régionale des Industries Alimentaires d’Alsace (ARIA), et a pour slogan : « Savourez l’Alsace ».
De façon encore plus large, des régions peuvent s’associer pour promouvoir leurs produire. C’est le cas du Cluster West (Well Eating Sustainable Territory), qui vise à promouvoir le « Bien manger durable, made by West ». Andy Chauveau, directeur exécutif du Cluster, explique : « Ce n’est pas une valorisation au sens d’un territoire mais la caractérisation d’un espace, une vision globale. De même que la Silicon Valley est associée à l’informatique en Californie, nous voulons que l’Ouest soit associé à la nourriture de bonne qualité ». Le Cluster West réunit des industriels mais aussi des agriculteurs de Basse-Normandie, Bretagne, Centre, Pays de la Loire et Poitou-Charentes. Il compte aujourd’hui 250 acteurs industriels, agricoles et scientifiques.
Alors, serons-nous tous demain locavores ? Il y a peu de chances… En effet, la mondialisation a profondément modifié nos habitudes de consommation et il semble aujourd’hui bien difficile de faire marche arrière. Car être locavore signifie aussi renoncer à tous les produits qui ne peuvent pas être produits à moins de 100 ou 160 km de chez nous. Et ils sont nombreux ! Il semble donc plus probable que le locavorisme tende à se développer encore à l’avenir, mais couplé à d’autres tendances socio-comportementales, comme l’essor du bio ou encore celui des produits équitables. Difficile d’être 100% locavore !
Finalement, Malo Bouëssel du Bourd, directeur de Produit en Bretagne a déclaré : « Il est essentiel de comprendre que la relocalisation des achats n’est pas seulement dans les mains des entreprises et de l’Etat, mais surtout dans celles du consommateur ». Et au regard de l’essor du locavorisme, ce dernier semble bien l’avoir compris… V.D.
Voici vos réponses à notre sondage hebdomadaire portant sur le thème de l’analyse :