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Est-il possible de concilier pêche industrielle et préservation des ressources ?

Plus de 250 millions de personnes vivent de la pêche ou d’activités liées à la pêche. Les 142 millions de tonnes de poisson produites chaque année permettent de nourrir 2,6 milliards d’êtres humains, en leur apportant plus de 20% de leur apport en protéines animales. Seulement, la moitié des groupes d’espèces de poisson est exploitée au maximum, 24% sont surexploités et 17 des plus grandes zones de pêche ont atteint ou dépassé leurs limites naturelles.

Comment en est-on arrivé là ? Les espèces pêchées sont-elles vouées à l’extinction ? Comment peut-on adapter nos pratiques pour assurer la durabilité des ressources ? Est-il possible de concilier pêche industrielle et préservation des ressources ?

Agro-media.fr vous propose une analyse en eaux troubles dans le secteur de la pêche.


Secteur de la pêche : un constat plus qu’inquiétant

Sur les 142 millions de tonnes de poisson produites, seul un tiers provient de poissons d’élevages. 94 millions de tonnes sont le fait de captures. A l’échelle européenne, 81% des espèces marines de l’Atlantique Nord Est évaluées par la Commission européenne sont surexploitées ! L’empreinte écologique de la pêche s’élève à plus de 60,8 millions d’hectares, soit 157% de plus que la biocapacité de la pêche ! 75% des grandes zones de pêche mondiales sont surexploitées.

L’une des espèces les plus menacées reste le thon rouge, très apprécié en sushis. Il est classé sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et fait partie des espèces protégées par la Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l’Atlantique (CICTA), à laquelle l’Union européenne adhère. Cette dernière a d’ailleurs récemment modifié sa réglementation pour réduire les captures illégales de thon rouge dans l’Atlantique est et la Méditerranée.

La surpêche nuit également aux oiseaux de mer, qui sont en compétition avec les pêcheurs pour la capture de petits poissons côtiers. Ceux-ci sont de plus en plus pêchés pour servir d’aliments dans les fermes aquacoles. Or, l’effondrement d’un tiers des stocks de ces poissons suffit pour observer un déclin significatif de la capacité de reproduction des oiseaux de mer.

En Europe, voici le constat des scientifiques de l’Association Française d’Halieutique (AFH) : « Si la situation semble s’améliorer pour quelques espèces, l’état global des ressources marines européennes reste préoccupant. Un stock naturel sur deux est ainsi jugé en-dehors des limites de durabilité écologique ou présente des signes d’évolution négative. Et tous ceux-là ne font pas l’objet de mesures de limitation des captures. En outre, la connaissance scientifique reste très parcellaire. Seul un petit nombre de stocks fait l’objet d’une évaluation scientifique précise. Réciproquement, de l’ordre de 50% des captures réalisées dans les eaux européennes ne font l’objet d’aucun suivi scientifique ou d’un suivi scientifique insuffisant pour que des mesures de gestion efficaces puissent être proposées. Il existe en la matière un réel déficit de la recherche, dont les moyens ne sont manifestement pas à la hauteur des enjeux posés par l’exploitation durable des ressources naturelles de la mer ».

 

Campagne du WWF pour alerter l’opinion publique sur la surpêche du thon rouge


Une politique commune bien peu efficace

L’Union européenne est le 4ème producteur mondial de pêche et d’aquaculture au monde, avec plus de 6 millions de tonnes de poissons fournis chaque année (soit 4,6% de la production mondiale). La Politique Commune de la Pêche (PCP) mise en place vise à encadrer les pratiques de pêche des Etats membres. Une réforme est attendue et un premier texte a été présenté en septembre dernier par Maria Damanaki, la Commissaire européenne à la Pêche. Seulement, ni les professionnels du secteur ni les écologistes n’ont été convaincus…

Le principal point d’achoppement est la proposition visant à mettre en place des Quotas Individuels Transférables (QIT) et des Quotas Individuels par bâteaux. Ils auraient pour objectif de réduire la surcapacité de nos flottes et de laisser ainsi le marché se réguler. Maria Damanaki a présenté l’exemple des pêcheurs islandais, qui ont mis en place les QIT. Or, les professionnels et les associations écologistes font valoir qu’il ne reste qu’une centaine d’acteurs dans la profession qui concentrent tous les droits de pêche, et les pêcheurs artisanaux ont disparu… De plus, bien que l’objectif des QIT soit de limiter les captures afin de préserver les ressources marines, ils pourraient conduire à terme à une privatisation du vivant.

Autre cause de conflit : les rejets. Les poissons non valorisables, qui sont actuellement rejetés en mer, devraient être ramenés à quai et être transformés en farine pour nourrir l’aquaculture. La Commission a présenté l’objectif à terme : « zéro rejet ». Or, « les bateaux sont totalement inadaptés », selon Pierre-Georges Dachicourt, président du Comité National des Pêches (CNPM).

Le principal problème de la PCP est que les quotas de pêche adoptés par le Conseil des Ministres ne respectent pas tout à fait les avis des scientifiques. En effet, selon une analyse détaillée de l’AFH, seules 59% des mesures de quota adoptées par les ministres en décembre dernier respectent scrupuleusement les recommandations des scientifiques, sur 111 mesures au total. Autrement dit, seules 40% des captures autorisées dans les eaux européennes sont conformes aux recommandations scientifiques !

Il convient donc d’établir en toute urgence un Rendement Maximum Durable (RMD), autrement dit un seuil qui correspondra au maximum de ressources halieutiques que les pêcheurs pourront prélever sans mettre en danger la survie des espèces. Maria Damanaki avait d’abord fixé comme objectif d’établir ce RMD d’ici 2015, mais nombre de pays réclament un report de cette échéance à 2020. La Commissaire à la Pêche a laissé entendre qu’un report d’une à deux années était envisageable, ce qui a rendu les ONG furieuses. Pour le WWF, « les Etats ne semblent pas réaliser le sérieux de la situation. Nos mers sont en train de mourir à une vitesse alarmante ». Et pourtant, « beaucoup d’Etats essaient de diluer cette proposition de la Commission alors que c’est exactement ce qu’il faut faire pour parvenir à une nouvelle politique de la pêche durable ».

 

Comment concilier pêche industrielle et préservation des ressources ?

La première mesure indispensable pour assurer la durabilité de la pêche est donc la mise en place, mais surtout le respect, d’un RMD. Cependant, ce dernier est difficile à établir, étant donné que de nombreuses données scientifiques manquent, et que les stocks de toutes les espèces n’ont pas été évalués. Une autre solution, qui pourrait être complémentaire, a été présentée par l’UICN.

« Pendant des siècles, on a cru qu’une pêche sélective qui évite les jeunes poissons et les espèces rares et emblématiques et préfère les individus plus âges et de grande taille permet d’accroître les captures et de réduire les impacts sur l’environnement. Mais en fait les individus plus âgés ont un fort potentiel de reproduction et leur capture altèle la structure et le fonctionnement de l’environnement. Elle peut aussi avoir des effets secondaires graves sur le plan de l’évolution et de l’écologie », voilà ce qu’a déclaré François Simard, le conseiller principal de l’UICN.  Ainsi, la pêche sélective classique modifie les environnements marins, comme dans la partie est du plateau néo-écossais où elle a modifié la structure de la chaîne alimentaire du milieu marin ou en Mer du Nord où l’on observe une proportion croissante d’espèces de plus petite taille. L’Union a publié une étude dans le journal Science dans laquelle elle remet en question de cette façon la pêche sélective classique et prône une autre approche, le « prélèvement équilibré ». Ce dernier cible toutes les composantes comestibles du milieu marin, de façon proportionnelle à leur productivité. Selon l’UICN, « cette nouvelle approche peut accroître considérablement la durabilité de la pêche, réduire son impact sur les écosystèmes et améliorer l’environnement marin aussi bien que la sécurité alimentaire ».

 

Pêche durable : un bon créneau de communication pour les IAA et la distribution ?

En attendant que des RMD ou des systèmes de « prélèvement équilibré » soient mis en place, communiquer sur l’aspect durable des produits issus de la pêche, pour un fabricant ou un distributeur, reste efficace. En effet, l’argument de la durabilité a de plus en plus de poids auprès des enseignes, notamment britanniques. Il s’affiche principalement par le biais de labels tels que le Marine Stewardship Council (MSC), qui certifie que les poissons ou les produits fabriqués à partir de poissons sont issus d’une pêche durable.

 

Label Marine Stewardship Council (MSC)

 

Il faut dire aussi que les ONG incitent fortement les enseignes à privilégier les produits issus d’une pêche durable. Ainsi, en début d’année dernière, Greenpeace était parvenu à faire accepter au distributeur américain Costco de ne plus commercialiser d’espèces présentes sur la liste rouge de l’UICN.

La tendance gagne aussi la distribution européenne :

 

Logo de la campagne Forever Fish


En France, des initiatives du même type ont émergé en 2011, notamment dans la restauration hors foyer. Ainsi, Sodexo a décidé de promouvoir les produits labellisés MSC et McDonald’s fabrique ses Filet-o-fish avec du poisson durable.

 

Filet-o-fish de McDonald’s labellisé MSC


Des campagnes de communication ont aussi été organisées auprès des consommateurs français pour les inviter à acheter des produits issus de la pêche durable.

Tous les distributeurs français ou presque se sont en outre mis aux produits MSC, comme Carrefour qui organise également chaque début d’année des « Jours Bleus » autour des produits MSC et comptabilise plus de 30 produits labellisés dans ses MDD.

 

Affiche Les Jours Bleus de Carrefour


Autre initiative intéressante : l’affichage environnemental testé par MerAlliance, qui indique directement sur l’emballage des produits leur indice environnemental, permettant aux consommateurs de voir en un coup d’œil quels sont les produits de la mer les plus respectueux de l’environnement.

 

Finalement, il est bel et bien possible de concilier durabilité et pêche industrielle, pour peu que cette dernière soit strictement encadrée et contrôlée. La PCP semble aujourd’hui insuffisante en la matière, et les associations écologistes ont l’espoir que la prochaine version parvienne à instaurer la durabilité au sein du secteur. La mise en place de RMD, ainsi que le fait de privilégier des « prélèvements équilibrés » à la pêche sélective traditionnelle, permettront aussi de pérenniser les stocks de poisson. Enfin, des études scientifiques doivent être menées pour réévaluer les stocks, notamment de certaines espèces pour lesquelles des données manquent. Une chose est sûre, comme le disent les scientifiques de l’AFH : « la route est encore longue pour développer une approche écosystémique, changer le système pêche et l’inscrire dans une perspective de développement durable »… V.D.


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