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Au cours des deux dernières décennies, l’industrie agroalimentaire a déposé en moyenne entre 200 et 250 brevets par an. Leur but : éviter les contrefaçons, récompenser les efforts des équipes de recherche et développement, faire fructifier leur travail, créer de la valeur ajoutée dans l’entreprise, accroître sa crédibilité, consolider un partenariat ou encore organiser un transfert de technologie. Comparé à d’autres secteurs, c’est peu.
Agroalimentaire : hausse du nombre de brevets
« Il n’y a pas une grande habitude des brevets dans l’agroalimentaire, selon Pierre Breese, président de Fidal Innovation, un cabinet de conseil en innovation et propriété intellectuelle. Mais le nombre de dépôts tend à croître depuis quelques années. » D’une part, la technique occupe une place croissance dans la fabrication des produits agroalimentaires, avec le renforcement continu de la réglementation. Le procédés sont ainsi de plus en plus industrialisés, répondant donc mieux aux conditions nécessaires au dépôt de brevet. « Les contraintes réglementaires sont en fait une incitation à l’innovation pour les entreprises, estime Pierre Breese. Le principe de précaution pousse par exemple les acteurs de l’agroalimentaire à sans cesse perfectionner leurs procédés de précision. »
D’autre part, dans certains secteurs -la nutrition notamment- la concentration des acteurs économiques favorise l’accroissement du nombre de brevets déposés. Les entreprises telles que Danone, Nestlé ou encore Nutritia sécurisent leurs partenariats via le dépôt de brevets. Et plus ces acteurs prennent de poids, plus les enjeux sont importants. La protection des innovations est ainsi cruciale, afin d’assurer la pérennité des retombées des millions d’euros engagés dans la recherche et le développement. Dans tous les cas, « il faut protéger une innovation dans une perspective claire », et pas simplement pour le fait de la protéger, estime l’expert en innovation industrielle.
Les recettes : une innovation non brevetable
Les IAA se tournent peu vers les brevets car cette forme de propriété industrielle n’est parfois pas très adaptée à la protection des innovations dans l’agroalimentaire.
Les recettes par exemple, qui représentent une part considérable de l’innovation dans le secteur, ne rentrent pas dans le cadre des innovations brevetables. Ces dernières sont en effet définies comme un assemblage d’ingrédients et de tours de main obtenus par expériences et transmission.
Dans les années 1990, il était encore possible de breveter des recettes. Joel Robuchon l’a fait pour une recette chaude de foie gras à la gelée de poule (1994) et pour une soupe de laitue maraichère à la crème d’oignons (1996). Michel Troisgros a fait de même en 1999 avec sa recette d’asperges à la chapelure. Cependant, c’est aujourd’hui devenu quasiment impossible, les demandes étant systématiquement rejetées par l’INPI.
Les freins aux brevets dans l’agroalimentaire
D’autres aspects freinent les IAA. D’une part, la procédure est longue : jusqu’à 36 mois à compter du dépôt, jusqu’à la délivrance du rapport de recherche. D’autre part, la publication du brevet, 18 mois après le dépôt, est souvent redoutée par les entreprises, car elle accroît le risque de perte parts de marché et de contrefaçon. Enfin, le dépôt représente un coût non négligeable. « Il faut compter environ 4 000 euros pour déposer un brevet, explique Pierre Breese. Et 5 000 euros de plus par région ou pays supplémentaire. Au total, une entreprise souhaitant protéger son innovation en Europe, en Chine et aux États-Unis, pendant 10 ans, devra débourser environ 50 000 euros. »
Il existe néanmoins des aides, qui s’adressent en particulier aux PME et aux TPE. Ces dernières sont de plus de plus déposantes. D’après une étude de l’observatoire de la propriété intellectuelle en 2012, les PME ont déposé 24% des demandes de brevet publiées en 2011, contre 19,5% en 2007. Et 78% des brevets des PME sont déposés à tarifs réduits.
Les aides au dépôt de brevet
L’INPI (Institut national de la propriété industrielle) propose tout d’abord aux PME et aux organismes à but non lucratif de l’enseignement et de la recherche, de diviser par deux les principales redevances de procédure et de maintien en vigueur d’un brevet. L’organisme permet également aux PME et aux TPE de bénéficier d’un pré-diagnostic gratuit, si elles n’ont déposé aucun brevet au cours des cinq années précédentes.
OSEO propose, de son côté, aux petites entreprises de prendre en charge 80 % des coûts engagés pour le recours à un spécialiste. Par ailleurs, les dépenses de propriété industrielle sont prises en compte dans l’assiette des dépenses de R&D des projets de R&D&I. Enfin, les frais relatifs à la prise, à la maintenance et à la défense d’un brevet sont éligibles au crédit impôt recherche.
Un brevet unitaire européen en marche
Parallèlement, l’ Europe est en train de mettre en place un système de brevet unitaire dans l’Union, ce qui devrait simplifier les démarches et réduire les coûts, notamment les taxes annuelles et les frais de traduction. Il permettra de protéger de manière uniforme, dans tous les États membres ayant approuvé la mesure -l’Italie et l’Espagne s’y sont opposées- et de les défendre, si besoin, devant une cour européenne des brevets. A la différence du brevet européen qui nécessite un dépôt devant l’office européen des brevets (OEB), puis une validation dans chaque office des États membres, pour y obtenir un titre national, le brevet unitaire européen consistera en une procédure unique. Approuvé par la Commission en 2012 et entré en vigueur le 1er janvier dernier, il doit désormais être ratifié par un minimum de sept pays. Pour l’instant cinq ont signé.
« Déposer un brevet unitaire européen coûtera certes moins cher que de déposer un brevet de chaque État membre. Mais bien souvent, les entreprises ne protègent leur innovation que dans les cinq ou six puissances européennes », nuance Pierre Breese. Ainsi ce nouveau brevet ne serait pas nécessairement une avancée pour les IAA. « Il va avant tout avantager les plus gros déposants. »
Le secret : seule alternative pour les IAA ?
En fait, les industriels de l’agroalimentaire voient souvent le secret comme le seul moyen de protection vraiment efficace. Il se matérialise par la signature d’un accord de confidentialité, qui peut s’avérer nécessaire en cas de litiges et de révélation impromptue. Pourtant « les limitations du secret sont de plus en plus grandes, explique Pierre Breese. Les entreprises sont parfois tenues de montrer leur process par respect des règles sanitaires. De plus, le turnover croissant dans les entreprises rend le secret plus difficile à garder. »
Il existe également d’autres moyens de protéger une innovation. Dans le cas d’un signe graphique, permettant de distinguer un produit ou de véhiculer l’image de l’entreprise, les industriels peuvent déposer une marque. « C’est un moyen surtout utilisé par la distribution et les grands groupes, comme Nestlé ou Danone. Mais de plus en plus, les coopératives et les fournisseurs se tournent vers des produits à plus grande valeur ajoutée, en bout de chaîne, et s’intéressent donc davantage au dépôt de marque. »
Les signes d’identification : source de tensions
Le dépôt de dessins ou modèles vise, quant à lui, la protection des éléments visuels, des formes, des couleurs, des textures, d’un matériau ou de l’ensemble d’un produit. Il est également beaucoup utilisé dans l’agroalimentaire, en particulier pour les packagings.
Enfin, les acteurs de l’agroalimentaire utilisent également les signes d’identification de qualité et d’origine. Parmi lesquels : l’appellation d’origine protégée (AOP), l’indication géographique protégée (IGP), la spécialité traditionnelle garantie (STG), le Label rouge, ou l’Agriculture biologique (AB).
« Les producteurs tentent de plus en plus de faire valoir leurs produits et c’est un bon moyen pour eux d’y parvenir. » Petit bémol cependant : ces signes ne sont pas reconnus dans tous les pays, et en particulier aux États-Unis.