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Le groupe volailler Doux emploie 3400 salariés et travaille avec 700 à 800 éleveurs. De fait, sa mise en redressement judiciaire le 1er juin dernier a déstabilisé toute la filière volaille française. Pour la Confédération française de l’aviculture, la chute de Doux est le « reflet de la grande fragilité de l’aviculture française ».
Doux entraînera-t-il la filière volaille française dans sa chute ? Comment se situe cette dernière par rapport à ses concurrents européens et mondiaux ?
Agro-media.fr vous propose une immersion au sein d’une filière française qui bat de l’aile.
Une filière française fragile
La France est le premier producteur européen de volailles, avec 1,86 millions de tonnes (Mt) produites en 2011. La filière volailles de chair française présente de nombreux atouts, que ce soit au niveau de son haut niveau de sélection génétique des races ou encore de la capacité de travail de ses éleveurs.
De plus, avec une part de marché de plus de 35 %, la viande de volaille est la deuxième viande la plus consommée au monde après le porc. Son marché est en développement partout dans le monde, et notamment en Chine (+30% de 2002 à 2009), en Europe (+12%) et en France (+5%).
Néanmoins, malgré une consommation qui progresse et les atouts dont elle dispose, la filière volaille française n’est pas au top de sa forme. Ceci est particulièrement flagrant lorsque l’on compare la production de volailles des principaux Etats-membres de l’Union européenne entre 2001 et 2009.
Alors que la France était très nettement leader en 2001 en termes de volumes de production, elle a progressivement été rattrapée par ses concurrents européens, et notamment par l’Allemagne et la Pologne. La France accuse ainsi une baisse de 20% de sa production quand ces deux pays européens la voyaient progresser respectivement de 38% et 86%. De fait, « la France est désormais chroniquement déficitaire avec l’Union européenne », a déploré Jean-Michel Choquet, le président du Comité Régional Avicole (CRAVI) de Bretagne.
Mais le principal concurrent de la France n’est autre que le Brésil. Ce pays a vu sa production de volailles exploser, augmentant de 53%.
En raison de la concurrence de l’Allemagne, de la Pologne et du Brésil, la part de la production française dans l’approvisionnement national est passée, au cours des dix dernières années de 78% à 64% en poulet et de 96% à 85% en dinde. Quant aux exportations françaises de viandes de volailles, elles ont chuté de 34%.
Comment expliquer le déclin de la filière ?
Selon une note confidentielle de la Confédération Française de l’Aviculture (CFA) que s’est procurée Le Figaro, « la France est toujours fragilisée par les tendances structurelles auxquelles elle est confrontée depuis une dizaine d’années ».
Trois facteurs principaux expliquent le déclin de la filière :
- Un parc de bâtiments d’élevage vieillissant et trop atomisé
Jean-Michel Choquet rapporte que : « Il n’y a pratiquement pas eu d’investissements au niveau des élevages depuis dix ans. L’âge moyen des bâtiments de volailles est de plus de 22 ans. »
De plus, la taille des exploitations et bâtiments français est moindre que celle de ses concurrents. Les outils d’abattage et transformation sont aussi trop nombreux, et « beaucoup travaillent à 50 % de leur capacité. Il faudrait les regrouper », estime le président du CRAVI Bretagne. - Des distorsions de concurrence
Les éleveurs brésiliens ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que leurs homologues français, au regard des normes européennes. Ainsi, ils ont moins de contraintes administratives ; leurs délais d’instruction pour les demandes d’installation de nouveaux poulaillers sont plus courts et les critères liés à l’environnement bien plus souples.
En Allemagne et en Pologne, c’est le coût du travail qui porte préjudice à la filière française. De même, la TVA est plus avantageuse dans ces pays. - Hausse du prix des matières premières
Comme la plupart des entreprises agroalimentaires, la filière volaille doit faire face à une hausse du prix des matières premières, et notamment de l’alimentation animale. Face à la pression de la grande distribution en aval, elle a été contrainte de rogner sur ses marges.
La conséquence directe de ces problèmes structurels est une érosion de la compétitivité de la filière. Ainsi, le coût à la sortie de l’abattage d’un poulet est 36% moins élevé au Brésil et les écarts de prix par tonnes de poids vif avec l’Allemagne sont de 14,5% pour le poulet et 16% pour la dinde.
La chute de la filière est-elle inexorable ?
Le groupe Doux emploie 3400 personnes et fait travailler 800 éleveurs, dont il est bien souvent le client exclusif. Or, depuis des mois ces derniers doivent faire face à des impayés. La note s’élève d’ores et déjà à 8 millions d’euros…
Cependant, Doux n’est pas le seul géant de la volaille en France. On peut citer en effet aussi LDC et Duc. De fait, bien que la chute du groupe Doux engendrera à coup sûr un séisme dans la filière et une réorganisation, d’autres acteurs devraient prendre le relais.
Le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux sur la Compétitivité de la filière volailles de chair française indique en outre que « l’émergence récente et spectaculaire d’une filière allemande qui se développe en dépit de la concurrence des pays émergents, notamment brésilienne, incite à penser qu’il existe des alternatives à l’attentisme résigné. La filière volailles de chair française doit, et peut, retrouver sa compétitivité. ». Pour cela, différentes actions peuvent être mises en place.
Dans un premier temps, le modèle de l’élevage avicole français doit être repensé, afin d’optimiser au mieux les coûts. Il faudrait favoriser la concentration des industriels et des éleveurs de volailles, afin d’avoir des acteurs de plus grande taille, mais aussi concevoir de nouveaux bâtiments plus économiques et plus performants, qui auraient recours aux énergies renouvelables. L’automatisation des processus de production et de transformation est indispensable pour parvenir à une meilleure rentabilité.
Il est également nécessaire d’agir à l’échelle européenne afin de réduire les distorsions de concurrence qui existent entre les Etats-membres. Les questions du coût du travail et de la TVA jouent un rôle prépondérant dans le manque de compétivité de la France par rapport à l’Allemagne.
Toutefois, il est encore possible de sauver Doux, malgré l’annonce vendredi 22 juin de l’administrateur en charge du dossier d’une mise en vente. Quoi qu’il en soit, la chute de ce géant aura au moins eu l’intérêt de mettre en lumière les fragilités d’une filière qui était jusque-là considérée comme l’un des fleurons de l’industrie française. V.D.
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