Sommaire
Les récentes famines dans la Corne de l’Afrique ont permis de remettre sur le devant de la scène une réalité que tous les pays développés préféreraient mettre de côté. Ainsi, la faim dans le monde est plus que jamais présente et tue chaque année des millions d’hommes, de femmes et d’enfants. Il y a actuellement plus d’obèses dans le monde que de personnes souffrant de malnutrition. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) se bat quotidiennement contre cet état de fait et alarme les gouvernements du monde entier. Alors que la population mondiale ne cesse de progresser, les rendements ne suivent plus, et le réchauffement climatique menace. Certains considèrent que la faim dans le monde a une origine politique et non technique. Où est le vrai, où est le faux ? Comment les entreprises agroalimentaires se positionnent-elles par rapport à cette catastrophe humanitaire mondiale ? Existe-t-il des solutions pour remédier à ce fléau ?
Agro-media.fr a mené pour vous l’enquête sur le plus grand serial-killer du monde : la faim.
Un constat alarmant
Selon la FAO, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde en 2010 a culminé à 925 millions, soit quasiment +9% par rapport à la moyenne 2006-2008. 15% de l’humanité a faim. Ce chiffre dépasse les moyennes triennales depuis 1969. Les principales régions touchées sont l’Asie-Pacifique et l’Afrique subsaharienne. L’année dernière, 19 pays d’Afrique ont subi des crises alimentaires, contre seulement 5 en 1990. La situation est particulièrement grave en Somalie par exemple, pays dans lequel le taux de malnutrition atteint quasiment 50% de la population, taux le plus élevé au monde selon l’organisation humanitaire CARE. Au total, 2 milliards d’individus dans le monde ont un régime alimentaire insuffisant en vitamines et minéraux. Les premières victimes sont les enfants : 178 millions des moins de 5 ans souffrent d’un retard de croissance et 3 millions sont morts de malnutrition avant d’atteindre cet âge. Mais la faim ne touche pas que les pays en voie de développement : 40 millions d’américains ont reçu des colis alimentaires par exemple, et cette réalité s’étend à l’ensemble des pays “riches”.
Les facteurs qui empirent la situation
Comment en est-on arrivé là ? Selon le directeur de la Croix-Rouge pour la région Asie-Pacifique, Jagan Chapagain, le problème de la faim n’est pas dû à une pénurie de nourriture dans le monde mais à une mauvaise distribution, au gâchis et à une hausse des prix qui rend les denrées alimentaires moins accessibles. Le pouvoir de négociation des petits producteurs locaux est également très faible par rapport à celui des intermédiaires et à un secteur agro-industriel de plus en plus concentré. Sans parler des agrocarburants, qui accentuent la spéculation sur les cours des matières premières agricoles et utilisent des ressources qui auraient pu nourrir un grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfants.
Olivier De Schutter, le rapporteur de l’ONU sur le Droit à l’Alimentation, a affirmé au cours d’une interview donnée au journal Le Nouvel Observateur : « depuis le début des années 1990, la facture alimentaire des pays les moins avancés a été multipliée par cinq ou six, du fait d’un manque d’investissements dans l’agriculture vivrière. Le Mozambique, par exemple, importe 60% du blé consommé par sa population, et l’Egypte importe la moitié de ses besoins alimentaires. Dans ces conditions, toute volatilité des changes ou hausse des prix affecte directement la capacité des pays à se nourrir ». La spéculation n’est donc pas en reste ; elle empire les fluctuations des cours des denrées alimentaires et impacte ainsi directement les populations les plus pauvres, diminuant leur capacité à se nourrir.
De plus, pour la première fois depuis 1960, les rendements des plus grandes cultures mondiales de blé et de riz augmentent moins vite que la croissance des populations. Comment cela se fait-il ? Le réchauffement climatique, encore lui, est en cause.
Enfin, l’accaparement des terres agricoles par les grandes puissances mondiales est un autre facteur empirant la situation. Kofi Annan a mis en garde contre cette réalité au cours d’une conférence de la FAO, en juin dernier. Il a ainsi dénoncé le phénomène de « mainmise sur les terres », par lequel les pays achètent ou louent la terre d’autres nations pour leur propre sécurité alimentaire. « Il est alarmant d’apprendre d’un récent rapport que des terres agricoles équivalant à un territoire grand comme la France ont été achetées en 2009 en Afrique par des « hedge funds » et autres spéculateurs », a-t-il dit. « Il n’est ni juste ni viable que des terres agricoles soient ainsi dérobées aux communautés, ni que de la nourriture soit exportée de pays où les habitants ne mangent pas à leur faim. Les populations locales ne tolèreront pas cet abus — et nous non plus ».
Les actions mises en place par l’agroalimentaire : des ricochets dans l’eau
De nombreux industriels du secteur agroalimentaire, conscients de cette triste réalité, ont mis en place des actions afin de lutter contre la faim dans le monde. Ainsi, après les yaourts enrichis aux nutriments commercialisés au Bangladesh, Danone souhaite se lancer en Algérie dans des sachets destinés à lutter contre la malnutrition. Ces derniers ressembleront au Plumpy Nut, une pâte permettant de lutter contre les famines en Afrique, mais seront sans arachides, étant donné qu’ils peuvent être allergènes pour les enfants.
KFC a aussi lancé du 4 au 18 octobre 2011 une campagne baptisée « Partageons l’espoir ». KFC encourage ainsi ses clients à faire un don au Programme Alimentaire Mondial (PAM), à partir de 0,50 euros lors de leur commande, soit l’équivalent de trois repas pour un enfant souffrant de la faim. C’est la sixième année consécutive que le réseau KFC France est partenaire de cette action : collaborateurs, clients, franchisés, fournisseurs. Les fonds collectés seront alloués aux actions de lutte contre la faim organisées par le PAM au Bénin. Le dispositif aura lieu pendant 15 jours dans les restaurants, et pendant une semaine, KFC France s’est engagé à reverser 15 centimes sur chaque transaction effectuée.
Les entreprises agroalimentaires menant des actions de ce type sont nombreuses, il serait trop long de toutes les citer. Bien que ces mesures bénéficient ponctuellement à des populations affamées, elles ne peuvent avoir un impact sur le long terme.
Il est intéressant enfin de noter que l’ONG Action contre la faim a parodié une célèbre publicité du groupe Evian pour appeler les chefs d’Etat du G20 à agir pour lutter contre la faim dans le monde.
Vers une solution durable ?
Les Objectifs du Millénaire pour le Développement, qui consistent à réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde d’ici 2015, semblent bien loin d’être atteints. Selon les économistes et démographes, il faudra augmenter la production alimentaire de 70% d’ici à 2050 pour nourrir les 9 milliards d’individus que la planète comptera alors.
Olivier De Schutter a proposé à l’occasion du G20 agricole un plan pour la sécurité alimentaire mondiale. Il affirme que « la faim n’est pas un problème technique, mais politique ». Il a ainsi déclaré : « Il faut briser le mythe technique de la faim, et reconnaître que ce fléau est d’abord le fruit de facteurs politiques qui condamnent les petits agriculteurs à la pauvreté ». Pour lui l’essentiel est de « renforcer la capacité des pays à se nourrir eux-mêmes ».
Le stockage est aussi un problème crucial : « actuellement, 30% des récoltes dans le Sud – 40% des fruits et légumes – sont perdues faute de moyens de stockage adéquats », explique le rapporteur de l’ONU. Un comble au regard de la faim qui sévit dans ces pays !
Selon les experts de The Economist, la solution la plus évidente pour enrayer la faim dans le monde est de lever les barrières commerciales et de stopper les subventions. Ceci permettra aux pays pauvres d’accroître leurs exportations. Une meilleure régulation des marchés agricoles est également indispensable pour limiter la spéculation et son impact mortel. L’accent doit être mis sur la recherche agronomique, souvent délaissée par les gouvernements.
Au terme de cette enquête, nous pouvons donc affirmer que des solutions existent bel et bien au problème sempiternel de la faim dans le monde. Ce problème semble être d’ailleurs politique avant d’être technique : il serait possible de nourrir l’ensemble de la population mondiale si les récoltes étaient mieux stockées, les cours plus stables, les situations politiques stabilisées et les pouvoirs de négociation équilibrés. Une situation qui semble aujourd’hui bien utopique. Les entreprises agroalimentaires tentent de lutter à leur échelle contre ce fléau, mais leurs actions apparaissent bien légères par rapport aux besoins. Quant à ceux qui s’approprient des terres dans des pays où l’on meurt de faim, aucun doute : ils tuent indirectement des milliers d’adultes et d’enfants. Aujourd’hui, seuls les politiques peuvent avoir un véritable impact sur la faim dans le monde, et parvenir à la réduire. Ils ont toutes les cartes, à eux de bien les utiliser. V.D.
Dessin : “Le regard de Clément Laskawiec (Laskom) sur la crise alimentaire”, partenaire d’agro-media.fr spécialisé dans la communication, le graphisme et l’illustration.