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Traçabilité agroalimentaire : plus qu’une contrainte réglementaire, une opportunité

Voilà tout juste un an, le scandale des lasagnes à la viande de cheval projetait sur le devant de la scène la question de la traçabilité alimentaire. Avec pour autre conséquence, une nette dégradation de l’image du secteur agroalimentaire auprès des consommateurs. Entre 2008 et 2013, la satisfaction des consommateurs concernant la sécurité des produits et les informations présentées sur les étiquettes a chuté d’environ 20 points, selon TNS Sofrès. En mai dernier, deux tiers des consommateurs déclaraient souhaiter une meilleure traçabilité.

 

La traçabilité alimentaire : bien plus qu’une réponse à la crise

D’où viennent les produits ? Comment ont-ils été fabriqués, transformés ? Avec quels ingrédients ? Par qui ? Ces interrogations refont surface au moment des crises alimentaires – qu’elles soient sanitaires ou qu’il s’agisse de tromperie. De fait, la notion de traçabilité est généralement associée à celle de crise. Elle est même perçue comme une réponse à la crise.
Au final, difficile de savoir à quoi renvoie la notion de traçabilité, devenue progressivement assez fourre-tout. Avant d’être une réponse aux crises alimentaires, la traçabilité est la « capacité à retrouver, à travers les étapes de production, de transformation et de distribution, le cheminement de denrées alimentaires ou de substances destinées à être incorporées dans une denrée alimentaire ou un aliment pour animaux », selon la définition du Parlement européen de 2002 (règlement CE 178/2002). Elle doit donc permettre de savoir de quoi est constitué un produit ou un lot (sa composition, son historique) et de le localiser, dans le temps et l’espace.

« La traçabilité est avant tout un outil industriel » pour les IAA

En fait « la traçabilité est avant tout un outil industriel, à la fois technique et réglementaire, explique Jean-Luc Viruéga, expert en traçabilité. Cette notion existait bien avant les crises alimentaires. »
Aujourd’hui, la traçabilité, a minima, d’un point de vue sanitaire -c’est-à-dire le suivi des produits depuis le fournisseur direct, jusqu’au client direct- est acquise par les entreprises. Elle est d’ailleurs obligatoire depuis le 1er janvier 2005. Selon une étude menée par Grant Thonton en 2013, « la majorité des dirigeants interrogés (62 %) surveille la traçabilité des produits depuis le premier tiers de la chaîne d’approvisionnement. » Cela dit, elle est bien souvent perçue avant tout comme une contrainte par les entreprises. Elles sont moins de 40 % à concevoir de manière positive la réglementation en matière de traçabilité.

Dépasser l’aspect contraignant de la traçabilité dans l’agroalimentaire

« La notion de traçabilité renvoie actuellement à la peur et à la psychose, estime Jean-Luc Viruéga. Les entreprises en oublient qu’obligation réglementaire ne doit pas nécessairement être synonyme de contrainte. » Les enjeux de traçabilité dépassent en réalité largement l’aspect purement juridique. Le premier enjeu est bien sûr celui de la sécurité sanitaire car la traçabilité permet le rappel de lots en cas de non-conformité. Plus un système de traçabilité est performant, plus le retrait sera rapide et précis, limitant ainsi les répercussions négatives en termes d’image et de pertes financières pour l’entreprise.
Un système de traçabilité adéquat permet également à une entreprise d’améliorer la gestion de ces flux, de ces stocks, de ces procédés et ainsi gagner en qualité, efficacité, sécurité et productivité.

Valoriser son système de traçabilité grâce aux labels

Enfin un système performant couplé à une bonne stratégie doit permettre de valoriser économiquement les données de traçabilité. Cette dernière permet en effet d’attester de la provenance ou du procédé de fabrication d’un produit. Ainsi, le label rouge, le signe de qualité agriculture biologique ou encore les indications géographiques protégées sont crédibles grâce aux systèmes de traçabilité. Les producteurs de viande l’ont bien compris. Comme nous l’annoncions la semaine passée, ils viennent de lancer un nouveau logo « Viandes de France », pour certifier l’origine française de la viande.
Mais attention, « il ne faut pas confondre origine et traçabilité, rappelle Jean-Luc Viruéga. Savoir qu’un produit a été transformé en France ne permet pas de le rappeler en cas de non-conformité. Un produit étiqueté « Made in France » ne garantit pas le process de fabrication ou le contrôle de la qualité. »

Le marché des outils de traçabilité agroalimentaire explose

Un système de traçabilité performant requiert des outils technologiques adaptés à l’entreprise, à sa taille, à son activité et à sa position au sein de la chaîne de production. Comme expliqué précédemment sur agro-media.fr, les ventes d’outils de traçabilité devraient gonfler d’environ 9 % par an d’ici 2020.
Trois types d’étiquettes permettent aujourd’hui de suivre un lot tout au long de la chaîne de production. Les codes à barres 1D sont aujourd’hui très répandus, notamment car cette technologie est la moins coûteuse. Elle est cependant limitée par la quantité croissante d’informations demandée par le consommateur. Le code à barres 2D pallie les contraintes du code à barres 1D car il peut enregistrer une quantité d’informations importante sur une surface réduite. Il permet également de lutter contre la contrefaçon.
Les étiquettes radiofréquences (RFID) sont les plus performantes d’un point de vue technique. Leurs ventes devraient d’ailleurs croître de près de 20 % par an d’ici 2020, selon l’étude de Allied Market. « L’avantage de cette technologie est triple, explique Jean-Christophe Lecosse, directeur général du Centre National de la RFID. Elle permet une lecture du tag à l’aveugle, par radiofréquence, ce qui est très pratique pour le bétail notamment. Elle permet également de lire plusieurs étiquettes à la fois [jusqu’à plusieurs centaines], et à distance, de trois centimètres à cent mètres. » Dans l’absolu, elle permet des gains de productivité considérable. Et bien que le prix de cette technologie ait baissé (de moitié, en deux ou trois ans selon Stéphane Cren, chef de projet innovation à GS1), il reste encore bien supérieur à celui des codes à barres, notamment car la RFID peut nécessiter une révision totale de la logistique et du système d’information de l’entreprise.

Vins et spiritueux : une filière qui devrait adopter la RFID

Si la technologie est largement utilisée pour l’identification du bétail, les autres filières agroalimentaires sont encore timides. Cela s’explique en partie par le fait que la radiofréquence supporte mal l’eau ou le métal, ce qui pose problème pour les produits frais et ceux dont l’emballage contient de l’aluminium par exemple. « Sur la filière des vins et spiritueux, le potentiel est par contre important : la bouteille est en verre, les produits, uniformes et toujours dans la même position, et les besoins de lutte anti-contrefaçon sont notables. Le coût de la mise en place de la RFID serait rapidement amorti », précise Jean-Christophe Lecosse.
De manière générale, plus il y a d’acteurs sur la chaîne de production, plus la mise en place de la RFID est compliquée car elle doit être adoptée par l’ensemble des acteurs pour être efficace. Il faut de plus que les systèmes d’information soient compatibles. GS1, organisme de standardisation, travaille justement à l’instauration d’une norme (EPCIS) qui permettrait aux entreprises de partager leurs données de traçabilité grâce à des systèmes interopérables, explique Stéphane Cren.

PME de l’agroalimentaire : des solutions de traçabilité existent pour elles aussi

Les progiciels font partie intégrante du système de traçabilité des entreprises. Ces derniers permettent d’enregistrer et de suivre des produits, des lots et de connaître leur état au sein de la chaîne de production (fabrication, approvisionnement, préparation, expédition, etc). Les progiciels représenteraient 80 % du budget traçabilité des entreprises, selon des retours d’expérience, indique Jean-Luc Viruéga dans « La traçabilité : un enjeu stratégique ».
Bien qu’on affirme régulièrement qu’il est difficile pour les PME, disposant de peu de moyens, de mettre en place un système de traçabilité réellement optimisé, il existe désormais des solutions, même pour les plus petites entreprises. Les systèmes en cloud sont par exemple plus économiques, et certaines entreprises se sont spécialisées dans la prestation de services à destination des petites entreprises. C’est notamment le cas d’Akanea Développement, qui « vient de lancer une offre pour les TPE, exclusivement en Saas, qui démarre à 60 euros », explique Arnaud Martin, directeur de développement de marché.

Innovations dans l’agroalimentaire : quelles conséquences pour les systèmes de traçabilité ?

Car dans certaines entreprises, le suivi des produits et des lots se fait encore grâce à une feuille et un stylo. C’était le cas il y a peu de Jean-René Lapié, qui dirige la Maison Charcuterie Vaux – 40 salariés, 4,6 millions de chiffre d’affaires en 2013- à Sarlat. « Nous avons renforcé nos partenariats avec les producteurs locaux en amont, et en aval, nous vendons désormais une partie de notre production en grande surface, une autre en direct et une dernière via Internet, explique le dirigeant, qui a repris l’entreprise familiale il y a peu. Un outil de gestion informatisé était donc devenu indispensable pour gérer les flux et les stocks. »
Le développement de nouveaux canaux de distribution, tels que le e-commerce ou le drive, de nouvelles technologies, telles que la RFID, l’adoption de nouvelles réglementations : tous ces éléments font évoluer en permanence les systèmes de traçabilité qui se doivent de suivre le rythme des innovations. Demain, il faudra songer à une façon d’assurer la traçabilité des produits conçus à partir d’imprimante 3D, ou encore celle des insectes, dont la consommation va très certainement se développer en Europe dans les années à venir.
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