Agrosolutions et EIFER s’associent pour lancer un cycle d’étude qui vise à caractériser les déterminants de la transition énergétique et agricole et les différentes options possibles de gisements en biomasse.
La crise Ukrainienne nous rappelle avec fracas l’importance de l’autonomie énergétique, un chantier déjà en cours en France et dont le biogaz issu de la biomasse agricole est l’un des piliers. La géopolitique accélère donc le calendrier de diversification des marchés de l’agriculture vers l’énergie. Mais la faisabilité de cette transition se heurte à une réalité de terrain : l’agriculture est actuellement très centrée sur la production alimentaire. Elle est appelée à redevenir « multifonctionnelle » : nourrir les Hommes, fournir de l’énergie, fournir l’industrie en produit biosourcé et régénérer les écosystèmes. Chaque fonction consomme de la biomasse agricole et peut se retrouver en compétition avec les autres. Dans les conditions actuelles, il n’est pas certain que l’on puisse tous les satisfaire à terme. Notre capacité à atteindre les objectifs de production de biogaz agricole est en question.
Les objectifs politiques de production de gaz à partir de biomasse agricole sont très ambitieux, l’injection de biométhane doit par exemple être multipliée d’un facteur 35 à 55 à l’horizon 2028 (Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) 2019-2028). Pour la profession agricole c’est une bonne nouvelle, car ces gisements de biomasse ouvrent la voie à la diversification des débouchés, donc des revenus, et illustrent le rôle central de l’agriculture dans l’autonomie énergétique et le verdissement de l’économie.
3 scénarios générant différents niveaux de gisement de biomasse méthanisable à horizon 2050
Mais sur le terrain, une interrogation croissante porte sur le réalisme des ambitions politiques assignées à la biomasse- énergie : dans les conditions techniques et économiques actuelles et compte-tenu de la transition environnementale qu’elle doit assurer, il apparait de moins en moins certain que l’agriculture a et aura la capacité à fournir le secteur énergétique en proportion attendue de biomasse-énergie. Les industriels de l’énergie constatent de leur côté la difficulté des filières à se structurer au rythme prévu par le gouvernement. Il semble donc que les objectifs assignés à ces différentes nouvelles fonctions de l’agriculture n’aient pas été réfléchis les uns par rapport aux autres, s’il apparait possible de les atteindre chacun pris séparément c’est leur « empilement » qui risque de créer un blocage et qui nécessite donc anticipation et réglage.
«Dans ce contexte il nous a semblé utile d’initier un cycle de travaux sur la réalité des transitions possibles, mais surtout – afin d’alimenter les réflexions en cours sur les politiques publiques à mener- des conditions de leur réussite, vu de l’amont agricole », Mathilde Kiener, Manager en charge de l’étude chez Agrosolutions.
A travers cette première étude prospective, Agrosolutions a cherché à caractériser l’évolution de la production de biomasse et sa disponibilité pour la production d’énergie selon différents scénarios d’évolution du modèle agricole français. Ces résultats sont encore préliminaires, et constituent une proposition de « l’amont agricole » destinée à ouvrir la discussion sur les conditions possibles, « vues du terrain », de la nécessaire transition agricole. Cette première approche sera affinée tout au long de ce nouveau cycle de travaux réalisés par Agrosolutions et EIFER.
3 scénarios générant différents niveaux de gisement de biomasse méthanisable à horizon 2050 ont été présentés. Les 3 scénarios de cette étude sont donc basés sur les hypothèses de forces relatives des marchés qui rémunèreront les nouvelles fonctions de l’agriculture (ces marchés pouvant largement être déterminés par des décisions politiques). Les scénarios ont donc été construits en fonction des potentiels débouchés économiques pour l’exploitant agricole, auxquels ont été appliqués trois constantes : i) rémunération décente des agriculteurs ii) baisse de l’impact climatique de l’agriculture (réduction des émissions et accroissement du stockage de carbone dans les sols), iii) maintien à minima d’un débouché alimentaire suffisant pour garantir l’autonomie alimentaire nationale.
Les 3 sources de revenu pris en compte pour construire les scénarios sont les suivants : Le débouché alimentaire ; Les paiements pour services environnementaux, dont le carbone ; La rémunération liée aux débouchés énergétiques. Les modélisations ont été réalisées en prenant en compte les réalités de terrain pour la mise en place de changements de pratiques en agriculture (par exemple pour ce qui est de l’implantation et du développement des CIVEs). Pour l’ensemble des scénarios le parti pris a été d’adopter une position très conservatrice sur le potentiel lié à l’innovation pour faire évoluer la production de biomasse, étant donné la difficulté à faire de la prospective sur ce sujet.
L’innovation agronomique, un des leviers pour accompagner cette transition
Le scénario 1 porte sur une agriculture multifonctionnelle et régénératrice. L’équilibre économique n’est pas assuré par la performance productive mais par la valorisation économique des services environnementaux. Le scénario 2 présente une agriculture spécialisée sur l’alimentation, productiviste et exportatrice. L’équilibre économique est assuré par la performance productive et la compétitivité à l’export des excédents, essentiellement en débouchés alimentaires. Enfin le scénario 3 repose sur une agriculture multifonctionnelle et orientée sur la performance productive, mais « isolationniste ». L’équilibre économique est assuré par un équilibre des différents débouchés alimentaire, énergie et biomatériaux au niveau national. Pour chaque scénario, l’étude quantifie la biomasse affectée au débouché énergétique et donc la quantité d’énergie issue de biomasse agricole qu’il est possible de produire.
On observe notamment un accroissement de la quantité de biomasse méthanisable dans chacun des scénarios, par rapport à la situation actuelle, donc un accroissement du potentiel de production de biogaz (multiplication par 3 à 9,5 selon les scenarios). Cependant dans aucun des scénarios cette croissance ne permet d’atteindre les objectifs nationaux pour la production de biogaz. L’un des scénarios de la Stratégie Nationale Bas Carbone implique la production de 250 Twh via la biomasse agricole tout usages confondus (biocarburants, méthanisation, combustion directe), l’étude France Stratégie met en avant 76 à 89 TWh PCS de ressources agricoles brutes pour la méthanisation (soit environ 60 à 70 TWh PCI) et l’ADEME dans ses scénarios6 considère une mobilisation de 102 à 134 TWh PCI de ressources agricoles VS 52,6 au maximum dans nos scénarios.
Selon l’étude, le scénario le plus favorable au débouché énergétique est le n°3, caractérisé par la capacité de la filière biogaz à offrir aux agriculteurs un tarif d’achat de la biomasse agricole compétitif avec les autres débouchés, une production compatible avec l’amélioration du bilan carbone des fermes et sa rémunération en paiements pour services environnementaux. Mais ce scénario est également celui qui simule un abandon des marchés export de l’agriculture française, ce qui est économiquement inenvisageable aujourd’hui sans prendre le risque d’une déstabilisation profonde de l’économie agricole.
«Ces résultats ne signifient pas qu’il est théoriquement impossible d’atteindre l’objectif public, mais notre étude souligne qu’en l’état actuel des choses et compte-tenu des objectifs par ailleurs pris sur la transition environnementale et le maintien de la sécurité alimentaire il est probable que la Ferme France ne puisse pas fournir la quantité de biomasse agricole nécessaire pour atteindre l’objectif de production de biogaz assigné par les pouvoirs publics», rapporte l’étude.
Au regard de ces enjeux on mesure l’importance d’une anticipation de la transition pour adapter à minima les politiques économique, agricole, environnementale et énergétique. Mais cela ne sera sans doute pas suffisant. Même avec un environnement politique permettant un réglage fin de la transition, la Ferme France sera limitée sur la quantité totale de biomasse disponible et donc sur la capacité à satisfaire les différentes fonctions qui lui sont aujourd’hui assignées. Un travail de fond sur l’innovation agronomique est donc nécessaire pour accompagner cette transition de modèle, et permettre autant que possible d’accroitre la production de biomasse agricole dans les conditions de régénération des sols et de l’environnement.