Organisé par Vinexposium en juin dernier, le Symposium « Act for Change » a réuni 35 experts internationaux de 17 nationalités autour d’une série de débats prospectifs sur l’avenir des vins et spiritueux à l’horizon 2030 et les enjeux qui pèsent sur cette filière. Parmi eux, les évolutions des habitudes de consommation, les conséquences du changement climatique et leurs impacts sur la production et la distribution des vins et spiritueux. Neuf grandes thématiques ont été développées par des acteurs de la filière pour faire face aux nombreux défis à venir. A l’issue du symposium, ils se sont accordés pour inscrire l’avenir du secteur viti-vinicole dans le collectif, l’innovation, la technologie, la valorisation des pratiques vertueuses, la transparence, le partage de connaissances et les échanges entre grandes maisons et vignerons.
L’avenir des Grands Vins sera proche de la nature ou ne sera pas
Interrogé sur l’avenir des grands vins, Oliver Bernard a pu livrer son regard sur les évolutions qui attendent le secteur. Entre enthousiasme et réalisme quant aux défis à venir, le directeur du Domaine de Chevalier a insisté sur l’importance d’une réaction immédiate aux problématiques environnementales, tout en renouvelant sa confiance dans les consommateurs et les générations à venir pour célébrer les grands vins. Parmi les solutions évoquées, l’émergence de nouveaux cépages au sein des appellations, le soutien à la conversion en bio et biodynamie des domaines ou l’adaptation des pratiques à la vigne.
Vers une nouvelle consommation pour de nouveaux profils organoleptiques
Interrogée sur les profils organoleptiques de 2030, Cathy Van Zyl MW, rédactrice adjointe du guide sud- africain « Platter’s », a indiqué que le marché sud-africain était en plein changement à la faveur de vins plus légers. Colin Hampden-White, consultant en whisky a partagé en retour l’évolution des profils de spiritueux, qui ont de plus en plus de goût, en réponse aux attentes des consommateurs. Pierre Mansour, directeur des achats vin pour The Wine Society, a lui rappelé que 65% des consommateurs placent la question du climat en priorité dans le choix de leurs vins. Beaucoup de consommateurs recherchent avant tout des « vins honnêtes », avec de l’authenticité, comme une pure expression de leur terroir. Les vins honnêtes semblent aujourd’hui s’affirmer comme une tendance émergente et croissante auprès des consommateurs qui cherchent un supplément de valeur. Ils demandent aussi une diversité d’offres, adaptées à une consommation personnalisée et s’orientent notamment vers des vins plus secs, plus bruts tout en restant savoureux et vers des vins à la démarche environnementale affichée. Pour les spiritueux, l’avenir est à la création, la diversité, des goûts affirmés et une traçabilité locale. Les nouveaux consommateurs recherchent la surprise, la nouveauté, des typicités inattendues qu’elles soient le fait de nouvelles pratiques de distillation ou de recettes créatives aux ingrédients inhabituels. Stéphanie Marchand-Marion, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux, qui étudie les évolutions des dernières tendances du goût du point de vue des consommateurs, et du changement climatique, a conclu que les vins pouvaient survivre aux défis climatiques de demain, à condition de trouver les équilibres dans leurs compositions.
Packaging, consommation, innovation et baisse des émissions de CO2
Le défi des packagings de demain sera de répondre au décalage entre le besoin incontestable de réduire l’empreinte carbone émise lors de leur fabrication et la perception que les consommateurs ont d’un emballage durable et respectueux de l’environnement. Le verre demeure dans l’imaginaire un contenant éco-responsable quand la réalité est plus complexe. Les résultats des actions pour le recyclage des bouteilles ne sont pas significatifs, preuve d’un décalage entre l’intérêt porté à la préoccupation écologique et l’envie réelle de changer ses habitudes de consommateur. Lulie Halstead, Directrice de Wine Intelligence – IWSR le constate notamment en Australie où 67 % des acheteurs de vins et spiritueux sont convaincus par le changement climatique et seuls 21 % d’entre eux se disent responsables. Rob Malin, fondateur de When in Rome, a pour sa part lancé le premier vin vendu dans une bouteille en papier, un emballage 6 fois moins émetteur de CO2 que la bouteille en verre dont la production équivaut à près de 40% des émissions de CO2 de la filière. Le rôle des packagings de demain sera double : continuer le travail de recherche et de progression vers des contenants plus éco-responsables et faire des bouteilles une arme pour éduquer les consommateurs de vins et spiritueux qui comptent parmi les produits les plus emballés.
La digitalisation, le vin et les spiritueux
Cyril Grira, directeur Retail & Omnichannel chez Google France, constate l’accélération des recherches de vins et spiritueux sur le moteur de recherche Google à l’instar des termes « vins bio » qui ont été multipliés par trois. Il note également que les requêtes des consommateurs s’orientent majoritairement vers les cépages, les appellations et les productions locales. Or, le manque de connaissances du consommateur en la matière (80% des recherches sont génériques) et l’absence de visibilité des petits producteurs constituent un frein à la performance du secteur. La filière vin gagnera à s’inspirer des secteurs de la mode et de la beauté, quiemploient de multiples formats pour innover et raconter des histoires. Parallèlement, le point de vente en ligne doit s’associer mieux encore au point de vente physique. Quant à l’avenir du métaverse, les experts se montrent réservés car les vins et les spiritueux s’apparentent avant tout à une expérience du réel.
Viticulture et changement climatique
Face aux bouleversements engendrés par le dérèglement climatique, les pratiques et les typicités de chaque région viticole évoluent. Au travers de ce symposium, tous se sont accordés sur le fait que l’adaptation au changement climatique et la résilience humaine au service de la vigne seraient les clés pour y faire face. La diversification des cépages, leur implantation dans un territoire adapté, le porte-greffe, la gestion raisonnée sont apparues comme autant de ressources. En regardant l’avenir avec optimisme et ambition, ils appellent la filière à prendre le leadership sur la question du climat et soulignent l’importance du collectif, l’un des plus grands défis étant de penser en communauté pour un meilleur partage des solutions qui existent déjà.
Géopolitique, vins et spiritueux : quelles leçons tirer des crises ?
La guerre en Ukraine remet en jeu le contrôle du capitalisme mondial avec pour conséquences un risque d’entrée en récession et la suprématie du dollar dans les échanges internationaux. C’est une nouvelle géo- économie mondiale qui se dessine. Face à cette situation mouvante, la capacité d’adaptation des opérateurs de vins et spiritueux doit leur permettre de saisir de nouvelles opportunités d’export, comme l’Afrique, et de renforcer leurs marques et leur image. La réussite tient également au respect des règles locales et à la protection des marques et des appellations. L’impact du changement climatique touche également la géopolitique des vins et spiritueux, que cela concerne la prise de position des leaders ou la viabilité d’une chaîne logistique soutenue pour répondre au « just-in-time » exigé par les jeunes. Comme le souligne Christophe Navarre, Président du Conseil d’Administration de Vinexposium, « l’impact du dérèglement climatique sur les cultures viticoles va être énorme. C’est une mission prioritaire pour les sociétés, nous n’avons plus le choix. »
Agroécologie et innovation : un tandem indispensable
Face aux enjeux climatiques et à la nécessité de rester compétitifs sur un marché en constante évolution, les innovations en matière d’agroécologie représentent l’avenir. Elles existent déjà, aujourd’hui sous diverses formes, du « calculateur » en accès libre et gratuit pour mesurer l’empreinte carbone, à l’utilisation de l’intelligence artificielle pour gérer son domaine et optimiser entre autres ses rendements comme le propose la société israëlienne Trellis, en passant par la mise en place de pratiques régénératrices. Alors que cette dernière notion convoque toute une galaxie de réalités, les réglementations la concernant avancent à grands pas et influencent, voire contraignent parfois, les pratiques dans la viticulture. Des solutions high-tech au retour aux fondamentaux, l’agroécologie se réinvente sous l’impulsion d’acteurs désireux de la rendre accessible au plus grand nombre.
Le e-commerce et la relation avec le consommateur
Le confinement a accéléré les achats sur internet et bouleversé le marché de la commercialisation. Fabrice Bernard, Président de Millesima, remarque que ce dernier a permis de développer une curiosité du consommateur sur des vins qu’il ne goûtait pas habituellement. Le e-commerce a changé les habitudes d’achats, sans éloigner les consommateurs des magasins. Cette évolution oblige les acteurs du e-commerce à repenser leur façon de travailler en créant de nouveaux outils technologiques comme le propose Preferabli qui utilise l’outil numérique pour aider le consommateur à choisir. « Nous allons avoir une consolidation du marché, mais la plus grosse évolution d’ici 10 ans sera le nombre de plus en plus important d’acteurs focalisés sur le client plutôt que sur le produit. Le magasin n’est pas le seul outil permettant d’offrir aux clients des interactions concrètes. Le numérique va permettre d’accélérer la magie autour de l’histoire du produit et les technologies peuvent contribuer à raconter ces histoires » a insisté Pam Dillon, co-fondatrice et PDG de Preferabli. L’avenir du e-commerce semble s’inscrire dans un marché concurrentiel où le service clients fera la différence.
En conclusion, le futur proche demandera de s’adapter aux transformations actuelles, tout en restant pragmatique a conclu Christophe Navarre, Président du Conseil d’Administration de Vinexposium, en insistant sur la pression positive de la jeunesse pour agir dès à présent en faveur du climat. « Pour mener des actions concrètes à grande échelle, il faut réussir à concilier les agendas politiques, les actions des grandes entreprises et les habitudes de consommation. C’est un processus complexe. Dans le domaine de la distribution, nous ne valorisons par exemple pas assez les producteurs qui agissent de façon positive. Il est certain que cela fait désormais partie de nos missions. » a-t-il également souligné en conclusion du Symposium « Act for Change ».
(Source Symposium/ Act of Change)