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C’est à cette interrogation que tentent de répondre les experts de Coface, référence dans l’économie mondiale, l’assurance-crédit et la gestion des risques, dans leur publication d’octobre, intitulée :«Perspectives mondiales du secteur agroalimentaire dans une perspective protectionniste».
Celle-ci analyse en effet les tendances à venir de ce marché plongé au cœur des tensions commerciales entre les Etats-Unis d’Amérique et la Chine. En raison des tarifs chinois et de leurs effets sur le secteur agroalimentaire américain, Coface a déclassé ce dernier de «risque moyen» à «risque élevé» dans son baromètre. Il est resté un secteur «à haut risque» depuis lors.
«Le secteur agroalimentaire mondial voit le marché de ses matières premières fortement impacté, notamment celui du soja», confirme l’agence Comcorp dans un communiqué de presse intitulé «Secteur agroalimentaire : Quelles sont les perspectives dans une économie mondiale marquée par des tensions protectionnistes?».
«Particulièrement stratégique, l’agroalimentaire est (avec les TIC) l’un des secteurs au cœur de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine», rappelle l’agence.
La Chine, acteur clé sur le marché agroalimentaire
En raison de sa démographie (près de 1,4 milliard d’habitants) et de sa classe moyenne en forte croissance, la Chine est un acteur clé sur le marché agroalimentaire mondial.
«Pour la plupart des produits agricoles, la Chine est l’un des plus grands importateurs et consommateurs mondiaux. Il est important de noter que, si la Chine est le plus grand producteur de nombreux produits agricoles, elle consomme plutôt qu’elle n’exporte la plupart de ces produits», expliquent les experts de Coface.
Cependant, l’annonce faite par la Chine d’interrompre les importations de produits agricoles américains à partir de décembre 2019 pourrait «probablement avoir un impact sur les marchés mondiaux, en particulier sur le marché du soja, qui est le produit le plus échangé entre les deux pays», s’accordent à dire les experts de Coface.
Selon ces derniers : «Au moment de la rédaction du présent rapport, le gouvernement américain avait déjà mis en place des droits de douane actifs sur les importations de soja, qui devraient continuer à avoir un effet négatif important sur les importations de soja des États-Unis en Chine. Cela devrait continuer à alimenter la volatilité des prix du soja et sa tendance à la baisse, quelque peu compensée par la baisse de la production mondiale».
L’achat du soja par la Chine, une préoccupation majeure
Les importations chinoises de soja représentent 65% des importations mondiales de soja, tandis que deux pays (les États-Unis et le Brésil) ont exporté 80% des exportations mondiales de soja en 2016/2017.
L’achat de soja par la Chine est donc une préoccupation économique majeure pour le Brésil et les États-Unis. La décision de la Chine d’imposer des droits de douane sur le soja américain (ainsi que sur plusieurs autres produits agricoles) en avril 2018 en tant que mesure de protection contre les mesures de protection américaines a donc eu un impact considérable sur le marché américain du soja au quatrième trimestre 2018.
Plutôt que de simplement réduire ses importations de Soja américain, dans la pratique, la Chine a presque complètement cessé de les importer.
«Les espoirs concernant un accord commercial entre les États-Unis et la Chine expliquent principalement les augmentations des importations entre février et septembre 2019» explique le rapport Coface qui indique que «La nouvelle vague de tarifs annoncée par le ministère chinois du Commerce en août dernier pourrait mettre fin aux importations de soja en Chine, comme en 2018.
C’est particulièrement le cas du fait que les besoins de la Chine en soja sont en diminution, en raison de la pandémie de peste porcine africaine (PPA) du pays. Cela a entraîné une baisse des prix du soja aux États-Unis qui a diminué de 18% entre mai et juillet 2018».
Grâce à son modèle statistique qui permet de prévoir les cours de certaines matières premières, Coface estime que les cours du soja devraient baisser de 9% en 2019 par rapport à l’année précédente, à la fois du fait des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis mais également à cause de la grave épidémie de peste porcine africaine (PPA).
Le rapport indique que le résultat le plus direct de cette pénurie est une demande croissante de viande de porc en provenance de Chine.
Le Brésil et l’UE ont par conséquent augmenté leurs exportations vers la Chine. Les importations de porc de la Chine en provenance de l’UE ont augmenté de 37% entre janvier et avril 2019, en glissement annuel.
Malgré les tarifs de rétorsion imposés par la Chine sur le porc américain, initialement mis en place en avril 2018 et majorés en septembre dernier, la Chine a augmenté ses importations en provenance des États-Unis pour compenser les conséquences de la PPA.
Les exportations de porc des États-Unis ont ainsi augmenté de 435% au cours de la période allant de janvier à juin 2019. Cela représentait également une forte augmentation de 125% par rapport à la même période deux ans plus tôt, avant le début des tensions commerciales.
Cette demande accrue sur le marché mondial a entraîné une hausse des prix du porc, qui a augmenté de 15% entre le 1er janvier et le 14 octobre 2019 et 50% plus élevée en septembre 2019 en comparaison annuelle.
ASF a également un impact sur le marché mondial du soja, la diminution de la production de porc entraînant une réduction des besoins en aliments pour le porc et une pression à la baisse sur les prix du soja.
Selon l’USDA, les importations chinoises de soja ont diminué de 10% entre les années de commercialisation 2017/2018 et 2018/2019.
«La pandémie a en effet conduit les producteurs de porc chinois à abattre une grande partie de leur cheptel pour éviter la propagation et donc à acheter moins de soja pour les nourrir. En parallèle, cette situation a eu un impact direct sur la production mondiale de porc dont la Chine produit la moitié. Les consommateurs chinois devront donc se tourner vers d’autres protéines animales comme la volaille et le bœuf, entraînant une demande accrue auprès des grands exportateurs mondiaux que sont, entre autres, l’Argentine et le Brésil», explique dans son communiqué l’agence Comcorp.
Le Brésil, le grand gagnant ?
Conséquences sur le secteur agroalimentaire mondial: le Brésil sera-t-il le grand gagnant? «Étant donné que le secteur agroalimentaire de la guerre commerciale s’est concentré jusqu’à présent sur le soja, le Brésil et, dans une moindre mesure, l’Argentine devraient être les principaux gagnants, car ils sont les principaux producteurs internationaux de soja», estiment les experts de Coface.
Ensemble, les États-Unis, le Brésil et l’Argentine sont les plus grands producteurs et exportateurs de soja, représentant 88% des exportations et 82% de la production mondiale en 2016/2017. Après avoir suspendu ses achats de soja aux États-Unis, la Chine a commencé à importer son soja presque exclusivement du Brésil et, dans une moindre mesure, de l’Argentine. Jusque-là, le Brésil et les États-Unis étaient les principaux fournisseurs de soja de la Chine. En 2017, ils ont exporté 90% de toutes les importations chinoises de soja (56% au Brésil et 34% aux États-Unis).
Des importations européennes de soja en hausse
Dans le but de compenser la perte de son principal acheteur de soja, les États-Unis se sont tournés vers l’Union européenne (UE).
Les importations européennes de soja en provenance des États-Unis ont quant à elles augmenté de 121% entre juillet 2018 et avril 2019 par rapport à la même période de l’année précédente, indique le rapport Coface. «Néanmoins, étant donné que la Chine est un importateur de soja beaucoup plus important que l’UE, «même si cette dernière achetait la totalité de ses graines de soja aux États-Unis, cela ne compenserait jamais la perte du marché chinois» affirme le rapport. Au cours de la campagne 2016/2017, l’UE a importé un total de 13,4 millions de tonnes de soja, dont 5,8 MM en provenance des États-Unis.
Au cours de la même période, la Chine a importé 27,6 millions de tonnes métriques des États-Unis, ce qui représente plus du double des exportations mondiales de soja vers l’UE» concluent les experts.
D’autres produits concernés par des taxes
Par ailleurs, le président Trump a récemment décidé d’appliquer des droits de douane sur plusieurs produits agricoles, notamment le vin et le fromage, pour un montant de 7,5 milliards de dollars US en provenance d’Allemagne, de France, du Royaume-Uni et d’Italie. «Cela pourrait refroidir les relations entre l’UE et les États-Unis et entraîner par la suite une réduction des importations de soja en provenance des États-Unis», estiment les experts de Coface.
Une autre conséquence des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine sur le secteur agroalimentaire mondial est la transformation des «voies d’exportation» pour certains produits, notamment le soja (elle a également eu une incidence sur la production de maïs, de sorgho et de porc aux États-Unis).
«Bien que certains des principaux producteurs et exportateurs de soja du monde, tels que le Brésil et l’Argentine, puissent bénéficier quelque peu de la situation à moyen terme, les risques pour le secteur agroalimentaire dans son ensemble restent à la hausse» rapporte l’agence Comcorp.
Autres risques sur les perspectives du secteur agroalimentaire mondial
Outre le contexte mondial protectionniste, d’autres risques potentiels pour les entreprises agroalimentaires existent tels que l’épidémie de peste porcine africaine ou encore la chenille légionnaire d’automne, qui menace le marché mondial du maïs.
Un autre risque pour ce secteur est lié aux conditions climatiques qui peuvent affecter les cultures, telles que de graves sécheresses ou le phénomène El Niño.
«D’un point de vue global, les cultures de maïs sont globalement plus touchées par El Niño que le soja et le blé. En d’autres termes, malgré les différentes manifestations climatiques d’El Niño dans le monde, les pertes et les gains des cultures ne sont pas compensés, ce qui entraîne une baisse de la production mondiale. L’Institut international de recherche sur le climat et la société de l’Université de Columbia (IRI) prévoit que le phénomène ENSO (El Nino Southern Oscillation) restera à l’état «neutre», au moins jusqu’en mars 2020», estiment les experts de Coface.
Enfin, si l’agroalimentaire est fortement touché par un environnement économique mondial marqué par des tensions protectionnistes, il est aussi souvent un secteur clé dans les accords de libre-échange, comme en témoigne l’accord récemment conclu entre l’Union européenne (UE) et le MERCOSUR.
Les gouvernements négocient souvent ces accords dans le but de faciliter le commerce de produits qui profiteraient notamment à leur secteur agroalimentaire national. Cependant, les agriculteurs locaux ne les soutiennent pas nécessairement et ils sont reçus avec un scepticisme croissant par une partie de l’opinion publique, entraînant parfois des retards dans la ratification de ces accords de libre-échange par les autorités publiques.
Agroalimentaire: Un secteur clé pour les accords commerciaux
Plusieurs accords de libre-échange ont récemment été signés et tous ont incorporé des mesures facilitant le commerce des produits agricoles qui identifient le secteur agroalimentaire comme l’un des secteurs au cœur du commerce mondial.
«Dans l’ensemble, les décideurs considèrent que ces accords sont favorables au soutien de leurs perspectives commerciales nationales (ou régionales) du secteur agroalimentaire. Comme le montre l’environnement protectionniste, le principal risque pour ces accords et les futurs est le scepticisme croissant à l’égard de la mondialisation économique qui avait amené une partie de l’opinion publique, en particulier des économies avancées ces dernières années, à la soutenir» indique le rapport.
Les derniers accords commerciaux signés à ce jour : l’UE-MERCOSUR, l’Accord de partenariat économique (APE) entre le Japon et l’Union européenne et l’Accord économique et commercial global (AECG) entre l’UE et le Canada, impliquent la suppression des droits de douane sur les biens échangés entre les régions concernées (CETA supprimait 98% des droits de douane entre l’UE et le Canada; les APE éliminaient 97% entre l’UE et le Japon), dans le but de favoriser leurs échanges commerciaux.
«Les produits agricoles sont un élément clé des trois accords commerciaux susmentionnés, en raison de l’importance de ces régions sur le marché agricole mondial» précise Coface.
L’APE, par exemple, entré en vigueur le 1er février 2019, a ouvert des possibilités d’accroître les exportations de porc et de boeuf de l’UE17. Les APE menacent toutefois les exportations de porc des États-Unis vers le Japon, qui représentaient 32% des exportations de porc des États-Unis en 2017. La concurrence entre l’UE et les États-Unis est féroce pour les exportations de porc au Japon.
En 2017, l’UE est devenue le premier fournisseur de viande de porc du Japon, avec une part de marché de 33%. Auparavant, c’était les États-Unis qui occupaient ce poste depuis plus de dix ans.
Selon les experts de Coface, l’UE devrait bénéficier grandement des APE, «car la consommation de viande de porc japonaise a tendance à augmenter, en particulier du fait que les habitudes de consommation se modifient, passant de poisson à viande de porc et autres viandes». Toutefois, le président des États-Unis, Donald Trump, et le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, ont donné leur accord de principe, lors du dernier sommet du G7 d’août 2019, à un accord commercial concernant les produits du bœuf, du porc et de l’agneau. Cet accord pourrait compenser la perte américaine due à l’EPA.
L’accord commercial entre l’UE et le MERCOSUR, une fois ratifié, pourrait avoir une incidence sur le marché mondial du soja, l’UE étant le deuxième importateur de soja du monde (après la Chine). Cela pourrait alors augmenter les importations de soja de l’UE en provenance du Brésil, au détriment des États-Unis (qui souffrent déjà des droits de douane chinois).
(Sources : Coface/Comcorp)