L’industrie agroalimentaire menacée par l’addiction de l’Europe au soja ?
L’industrie du soja est en plein essor avec une production mondiale de soja qui a plus que doublé en vingt ans. En 1997, elle s’établissait à 144 millions de tonnes pour atteindre aujourd’hui les 352 millions de tonnes. Une production essentiellement tirée par la demande mondiale d’aliments destinés aux élevages industriels qui produisent une grande partie de la viande …
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L’industrie du soja est en plein essor avec une production mondiale de soja qui a plus que doublé en vingt ans. En 1997, elle s’établissait à 144 millions de tonnes pour atteindre aujourd’hui les 352 millions de tonnes.
Une production essentiellement tirée par la demande mondiale d’aliments destinés aux élevages industriels qui produisent une grande partie de la viande et des produits laitiers que nous consommons.
Un boom du soja qui n’est pas sans conséquences prévient Greenpeace France dans un rapport publié ce mois-ci intitulé «Mordue de viande, l’Europe alimente la crise climatique par son addiction au soja». Parmi les solutions envisagées, celle de diminuer drastiquement la consommation de viande et de lait d’ici à 2030 semble incontournable, ce qui impacterait forcément l’industrie agroalimentaire…
L’industrialisation de l’agriculture pointée
Dans le secteur de l’élevage européen, pour répondre à la demande, la tendance est principalement orientée vers une hausse de la production de produits laitiers, de porcs et de volailles, dans des élevages de moins en moins nombreux mais toujours plus vastes et industrialisés. Un système qui se traduit par une augmentation de la demande d’aliments concentrés pour les animaux.
C’est pourquoi, le système de production industrielle de viande et de produits laitiers nécessite aujourd’hui l’utilisation d’importantes quantités de protéines pour nourrir les animaux.
L’UE, 2e importateur mondial de soja
Pour répondre à cette demande croissante de soja pour l’alimentation animale, l’Union européenne, deuxième importateur mondial après la Chine, fait entrer en moyenne chaque année sur son territoire 33 millions de tonnes de soja.
87% du soja consommé dans l’UE est destiné à l’alimentation animale, dont près de 50% pour la volaille (poulets de chair et poules pondeuses), suivie par les porcs (24%), les vaches laitières (16%) et les bovins allaitants (7%). Le reste (4%) sert à nourrir le poisson d’élevage et à la production d’autres viandes.
Si une partie de la production européenne de viande et de produits laitiers est exportée, la plupart reste dans nos frontières. En Europe de l’Ouest, une personne consomme ainsi en moyenne 85kg de viande et 260kg de lait (ou produits laitiers équivalents) chaque année – soit plus du double de la moyenne mondiale.
L’UE doit réduire sa consommation de produits animaux de 80% d’ici à 2050
D’après des études menées par l’UE elle-même, le soja – et donc l’alimentation animale – a toujours été le principal contributeur européen de la déforestation
à l’échelle mondiale et des émissions dues à celle-ci.
Notre système alimentaire actuel – en particulier la production de viande et de produits laitiers – est donc l’un des principaux facteurs de la déforestation et des émissions de GES. L’ensemble du secteur de l’élevage représente environ 60% des émissions directes des gaz à effet de serre liées à l’agriculture.
Utilisé principalement pour nourrir les animaux,
le soja est à l’origine de près de la moitié de la déforestation importée dans l’UE.
La solution n’est pas pour autant de relocaliser la production de soja sur le territoire européen. Près de 70% des terres agricoles européennes (terres arables et prairies, soit environ 1,2 million de km2), sont déjà utilisées pour nourrir nos animaux.
Il faudrait mobiliser 110 000km2 supplémentaires (une superficie équivalente à l’Autriche et à la Belgique réunies) pour cultiver la même quantité de soja que celle importée dans l’UE à l’heure actuelle. Si l’UE compte subvenir à ses propres besoins en soja et autres cultures protéagineuses essentiellement destinées à l’alimentation animale, sans réduire de façon radicale la production et la consommation de produits animaux, il faudrait « réquisitionner » près de 30% de l’ensemble des terres arables européennes qui ne sont pas déjà utilisées pour nourrir les animaux.
Or, si l’UE entend atteindre les objectifs de l’Accord de Paris et faire face aux
dangers auxquels notre santé et la biodiversité sont de plus en plus exposées,
l’UE doit réduire sa consommation de produits animaux de 80% d’ici à 2050.
88% du soja produit dans le monde est cultivé sur le continent américain
Les trois principaux pays producteurs sont les mêmes depuis 1998 : les États-Unis, suivis du Brésil et de l’Argentine. Plus de 88% du soja produit dans le monde aujourd’hui est cultivé sur le continent américain.
Entre 1997 et 2017, la production de soja
est passée de 26 millions de tonnes à
115 millions de tonnes au Brésil, et de
11 millions de tonnes à 55 millions de tonnes en Argentine. Au cours de la même période, les exportations de soja sont passées de 19 millions de tonnes à 67 millions de tonnes au Brésil, et de 11 millions de tonnes à
44 millions de tonnes. Ces chiffres indiquent clairement que le boom de la production de soja est dû aux exportations.
Un boom du soja qui n’est pas sans conséquences démontre Greenpeace France dans son rapport publié ce mois-ci intitulé «Mordue de viande, l’Europe alimente la crise climatique par son addiction au soja».
«Le système d’élevage intensif et la surconsommation de viande, d’œufs et de produits laitiers au sein de l’Union européenne nous a conduit à une situation destructrice pour le climat et la biodiversité, explique Cécile Leuba, chargée de campagne Forêts chez Greenpeace France.
Afin de nourrir les millions de poulets, cochons, vaches laitières… élevés chaque année au sein de l’UE, on importe des millions de tonnes de soja qui ont potentiellement contribués à la destruction d’écosystèmes précieux et uniques comme le Cerrado brésilien ou encore le Chaco. Cette situation est d’autant plus inacceptable que cette production de soja se fait à grands renforts d’OGM et de pesticides, dont certains sont même interdits en Europe. Imaginez, pour produire 100 grammes de poulet, il aura fallu 109 grammes de soja, c’est aberrant ! ».
L’Amazonie brésilienne, longtemps victime du soja, fait l’objet d’un moratoire depuis 2006 qui s’est avéré efficace pour endiguer la déforestation. Mais le soja y reste une cause indirecte de déforestation. Puisque l’exploitation du soja s’est développée dans d’autres régions comme le Gran Chaco, la plus grande forêt sèche d’Amérique latine, et le Cerrado qui a déjà perdu près de la moitié de sa végétation d’origine, environ 88 millions d’hectares, soit la taille du Venezuela.
La France importe chaque année entre 3,5 et 4,2 millions de tonnes de soja
Aujourd’hui, le constat est donc bien réel : la production française de soja
(412000 tonnes par an) est insuffisante pour couvrir nos besoins colossaux en protéines végétales pour l’alimentation animale.
En effet, la France importe chaque année entre 3,5 et
4,2 millions de tonnes de soja. En 2017, 61% du soja importé par la France provenait du Brésil, qui est donc de très loin le premier fournisseur de soja de la France, avec plus de 2 millions de tonnes par an.
Réduire drastiquement notre consommation de viande et de produits laitiers
«Vu les niveaux de consommation actuels, relocaliser en Europe la production de soja nécessaire à nourrir nos animaux d’élevage n’est pas envisageable» explique Greepeace.
Pour la France uniquement, cela reviendrait à consacrer les terres agricoles de trois départements français à cette unique culture, au détriment des cultures destinées à l’alimentation humaine.
«La seule solution est de réduire drastiquement notre consommation de viande et de produits laitiers et de favoriser l’élevage écologique et paysan, complète Cécile Leuba. Produire moins de viande mais de meilleure qualité, d’autant plus que les Européens en consomment beaucoup trop aujourd’hui. C’est seulement comme ça que nous serons en capacité de produire localement les protéines nécessaires à l’alimentation animale et d’avoir réellement des animaux, nés, élevés et nourris localement».
C’est pourquoi Greenpeace France demande la fin des subventions aux modèles productivistes pour permettre une transition vers un élevage écologique et demande au gouvernement de mettre en place un Plan Protéines Végétales ambitieux en favorisant le développement de légumineuses diversifiées et adaptées aux territoires, tant pour nourrir les animaux que les humains.
Le rapport L’avenir de l’environnement mondial du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) publié en mars 2019 est la dernière étude en date, semble confirmer les propos de Greepeace puisqu’il a démontré qu’une baisse de la consommation mondiale de viande réduirait significativement l’empreinte écologique de l’occupation des sols découlant de la production alimentaire, et ainsi son impact environnemental
et climatique.
Un changement qui ne pourra être incité que par des mesures politiques, et notamment par une réforme en profondeur de la Politique agricole commune (PAC) afin que les subventions soient versées au secteur de l’alimentation végétale et de l’élevage écologique plutôt qu’aux fermes-usines.
Améliorer l’autonomie protéique et réduire la dépendance de notre agriculture au soja importé
Les volumes de soja importé sont tellement considérables que la solution ne pourra
donc pas être de produire l’équivalent en France. Il faudra alors réduire la dépendance protéique de la France qui ne pourra se faire qu’en transformant notre système d’élevage et en réduisant notre consommation et notre production d’œufs,
de viande et de produits laitiers.
Aujourd’hui en France, plus de 80% des surfaces dédiées à la culture du soja sont conventionnelles et ce soja conventionnel
est très largement destiné à l’alimentation animale (entre 65 et 85% selon les chiffres). En revanche la production de soja biologique, qui ne représente que 17% des surfaces, est majoritairement utilisée pour l’alimentation humaine.
C’est notamment pour répondre à cette urgence que fin 2018, le gouvernement s’est doté d’une Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) 2018-2030 par laquelle il vise à mettre un terme à échéance 2030 à «l’importation
de produits forestiers ou agricoles non durables contribuant à la déforestation».
Cependant, pour Greenpeace, «cette SNDI se contente d’afficher un objectif ambitieux sans mettre vraiment en place les mesures pour l’atteindre. Elle ne fixe ainsi pas d’objectif de réduction des importations de soja et ne permet pas non plus la réorientation radicale nécessaire de notre modèle d’élevage qui n’est pas soutenable
et trop dépendant du soja importé».
Diviser par deux la consommation mondiale de produits animaux d’ici à 2050
À l’échelle de l’Europe de l’ouest, où la consommation de viande et de produits laitiers est quasiment deux fois supérieure à la moyenne mondiale, il faudrait réduire cette consommation d’environ 80% d’ici à 2050. Atteindre un tel objectif suppose en premier lieu d’arrêter de consommer des aliments d’origine animale issus de modes de production non durables et de mettre un terme à l’élevage industriel et aux fermes-usines.
Cette transformation ne pourra avoir lieu sans une transition de notre système agricole vers une agriculture écologique garantissant la sécurité alimentaire tout en protégeant
le climat et la biodiversité.
Pour le secteur de l’élevage, cela signifie élever des animaux sains, dans le respect
et sans souffrance, et d’utiliser des terres n’étant pas nécessaires à la production de denrées alimentaires destinées à l’humain
ou à la biodiversité.
Un tel changement implique également de remplacer le système actuel dépendant d’une alimentation animale hautement protéinée et issue de cultures intensives par une approche écologique au sein de laquelle les ruminants sont nourris au pâturage et les porcs et la volaille de résidus de cultures et éventuellement
de déchets alimentaires.
En résumé, il faudrait d’ici à 2030, diminuer sa consommation de viande et de lait. Ces chiffres suivent étroitement ceux du régime alimentaire planétaire préconisé
par le rapport de la Commission EAT-Lancet, lequel inclut tout au plus 98 grammes
de viande rouge (porc, bœuf et agneau),
203 grammes de volaille et 196 grammes
de poisson par semaine, soit un total combiné d’à peine plus de 25 kg par an. Cela impactera forcément l’industrie agroalimentaire qui devra s’adapter à de nouveaux modes de consommation.
(Source : Greenpeace/PNUE)