Les agrocarburants, coupables de la crise alimentaire ?
Depuis quelques années, les agrocarburants sont apparus comme une solution alternative à l’usage du pétrole avec l’avantage supplémentaire de préserver l’environnement.
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Depuis quelques années, les agrocarburants sont apparus comme une solution alternative à l’usage du pétrole avec l’avantage supplémentaire de préserver l’environnement. Aujourd’hui, on les accuse de tous les maux, notamment d’être encore plus polluants que le pétrole, qu’ils sont censés remplacer, et d’être responsables de la crise alimentaire mondiale.
Sur ce dernier point, les estimations divergent quant à leur réel impact. A ce sujet, s’est tenu le 6 juin 2008 à Rome le sommet de la FAO sur la crise alimentaire, qui a en grande partie pointé du doigt les agrocarburants.
Mais quelle part ont-ils réellement dans la crise alimentaire mondiale ? Sont-ils les seuls responsables de la flambée des cours des denrées alimentaires ?
Agro-media.fr vous présente les conséquences du développement des agrocarburants.
Agrocarburants : de quoi parle-t-on ?
Il existe deux types d’agrocarburants : le bioéthanol, pour les moteurs essences, à base de cultures céréalières ou sucrières (maïs, canne à sucre, betterave…) et le biodiesel – ester méthylique d’huiles végétales – pour les moteurs diesels, à base de plantes oléagineuses (colza, tournesol, soja, palme…).
Plusieurs facteurs expliquent la demande croissante en agrocarburants :
- l’indépendance des pays vis-à-vis des énergies fossiles (pétrole, gaz…),
- la lutte contre l’émission des gaz à effets de serre,
- le maintien des revenus décents pour les exploitants agricoles,
- et la volonté de développer des entreprises d’agrobusiness et de rentabiliser leur production.
Même si la consommation d’agrocarburants reste encore faible – 1 à 2% de la consommation totale en carburants utilisés pour le transport -, l’augmentation du prix du pétrole et la prise de conscience face au réchauffement climatique ont favorisé le développement de ce type d’énergies renouvelables. Ainsi, grâce au soutien à la filière en Europe, aux Etats-Unis ainsi qu’au Brésil (exonération de taxes et d’impôts, aides financières directes), la production mondiale n’a fait qu’augmenter, en particulier depuis ces dix dernières années. En 1975, elle était d’environ un million de tonnes, en 2005 elle représentait 31 millions de tonnes.
Sur les 31 millions de tonnes produites en 2005, 37% ont été produites en Amérique du Sud, 36% en Amérique du Nord et Amérique Centrale, 15% en Asie et 10% en Europe. Globalement trois grandes régions dominent actuellement le marché des biocarburants : les États-Unis, le Brésil et l’Europe.
Quel est l’impact des agrocarburants sur la volatilité des prix des denrées agricoles ?
Le développement du marché des agrocarburants a accru la demande en sucre, maïs, manioc, graines oléagineuses et huile de palme, principales cultures utilisées dans les processus de fabrication des agrocarburants. Cet accroissement de la demande s’est bien sûr répercuté sur les prix. Mais la hausse s’est répercutée de manière générale sur l’ensemble des denrées alimentaires.
Pour la Banque mondiale, les agrocarburants ont contribué à hauteur de 75% de la hausse des céréales observée. Une étude britannique affirme également que les agrocarburants ont joué un rôle majeur dans la hausse des prix des denrées alimentaires. Même le gouvernement français admet que « l’utilisation des biocarburants en masse par certains pays comme les USA et le Brésil a déstabilisé les marchés » (déclaration de Luc Chatel en 2008).
Selon une étude prospective sur les marchés mondiaux des produits agricoles à l’horizon 2020, l’augmentation de la demande devrait être très soutenue au cours des prochaines années, notamment dans le cas d’un scénario très probable de baisse des réserves en pétrole. Les prix des denrées alimentaires devraient donc continuer de croître, même si le facteur « demande en agrocarburants » a un impact moindre que l’augmentation de la demande par les pays émergents.
La part des agrocarburants dans la hausse des prix reste donc difficile à évaluer, d’autant plus que de nombreux autres facteurs entrent en jeu.
La production d’agrocarburants concurrence-t-elle l’alimentation ?
De plus en plus de terres jusqu’ici cultivées pour produire de la nourriture se transforment en terres pour produire des agrocarburants. Que cela puisse nous aider à combattre le réchauffement de la planète est discutable mais par contre ce qui est sûr, c’est que les agrocarburants menacent aujourd’hui les populations locales et les cultures vivrières en accaparant la terre et les ressources naturelles. Voici l’affirmation de Christian Berdot, partisan de l’ONG Les Amis de la Terre, qui est une fédération internationale d’associations écologistes autonomes.
Les plantations des monocultures industrielles d’agrocarburants définies comme des « déserts verts » lors de la Déclaration de Nyéléni, sont accusées de nuire à l’environnement en diminuant les capacités futures de production alimentaire. Deux aspects sont à prendre en compte : la compétition prédominante pour l’accès aux ressources naturelles est celle des terres cultivées et la compétition de l’eau découle des pratiques agricoles pour produire les agrocarburants.
De plus, les subventions versées par l’Etat privilégient les cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières alors que celles-ci doivent être relancées pour assurer l’autosuffisance alimentaire. Suite à des conditions géopolitiques spécifiques, une grande partie des agrocarburants est produite dans le sud ; c’est ce qui est appelé le « colonialisme vert ».
Par opposition aux nombreux points de vue qui accusent les agrocarburants d’être responsables d’une compétition pour l’accès aux ressources naturelles, le président du Brésil, Luiz Lulla a récemment, en 2008, affirmé qu’il n’y avait aucune raison qu’il y ait des pénuries alimentaires ou qu’on ait besoin de détruire la forêt pour faire pousser de la nourriture. D’après lui, « le Brésil aurait 320 millions d’hectares de terres arables et seul 1/5 serait cultivé. De ces terres cultivées, moins de 4% seraient utilisés pour produire de l’éthanol. On n’aurait donc pas à choisir entre nourriture et énergie ».
Pour ce qui concerne les autres ressources naturelles comme l’eau, le conflit se porte sur l’utilisation de celle-ci. En effet, il faut plus de 900 litres d’eau pour faire pousser le maïs nécessaire à produire 1 litre d’éthanol. C’est ainsi que des milliards de m3 d’eau sont gaspillés alors que des millions d’humains n’ont plus d’eau pour boire et pour cuisiner, selon Oxfam France.
Les premières victimes des agrocarburants : les populations pauvres.
Il est difficile de déterminer la part exacte des agrocarburants dans la hausse des prix des denrées. Selon Oxfam, elle serait de 30%, ce qui laisse supposer que les agrocarburants ont mis en danger les moyens de subsistance de 100 millions de personnes et en ont entraîné 30 millions dans la pauvreté. Des études de la Banque mondiale font même état d’une responsabilité de 65%.
Toujours d’après l’IFPRI, le soutien apporté par les pays riches aux agrocarburants, en faisant augmenter les prix alimentaires, a l’effet d’une taxe sur la nourriture. Ce sont évidemment les personnes les plus pauvres qui en subissent les répercussions puisque l’achat de nourriture représente la majeure partie de leur revenu.
Toutefois, pour le président brésilien Lula, « la nourriture est chère parce que le monde n’était pas préparé à voir des millions de Chinois, d’Indiens, d’Africains, de Brésiliens et de Latino-américains manger. »
Les personnes aux revenus les plus faibles sont également victimes d’une ruée pour assurer l’offre, qui menace leurs droits fonciers, sociaux et humains. En effet, le marché des agrocarburants s’avère être tellement lucratif que de nombreux investisseurs se précipitent pour acheter de nouvelles terres, déplaçant des communautés vulnérables dont les droits fonciers sont mal protégés.
Les agrocarburants sont aujourd’hui considérés comme une réelle alternative aux carburants pétroliers et offrent la possibilité à de nombreux pays d’acquérir une certaine indépendance vis-à-vis des énergies fossiles. Si les avantages apportés par les agrocarburants ne peuvent pas être négligés, l’augmentation de leur production n’est pas sans conséquences. En effet, cette production a de réels impacts économiques notamment sur le prix des matières premières agricoles, en s’ajoutant aux épisodes de sécheresse, à la spéculation des marchés financiers et à la baisse des stocks mondiaux de céréales, elle a participé à la flambée des prix en 2007 et 2008. Cette hausse des prix menace l’accès des populations les plus pauvres aux matières premières. De plus, on observe de plus en plus de concurrence pour l’utilisation des terres agricoles : entre celles exploitées pour la production de carburants et celles destinées à la production de matières premières entrant dans l’alimentation humaine. Un compromis judicieux reste à trouver en tenant compte des populations les plus pauvres menacées par la famine. V.D.