Exclusif : agro-media.fr interview un spécialiste des produits halal et africains.
Le marché du halal est en plein essor. Il a conquis les grandes surfaces et ne cesse de croître. Le marché des produits africains, pour sa part, reste plus confidentiel et est encore l'apanage des commerces spécialisés.
Le marché du halal est en plein essor. Il a conquis les grandes surfaces et ne cesse de croître. Le marché des produits africains, pour sa part, reste plus confidentiel et est encore l’apanage des commerces spécialisés. Pour en savoir plus sur ces deux grandes familles de produits alimentaires, agro-media.fr a interviewé en exclusivité un spécialiste du comportement des populations maghrébine et subsaharienne : M. Abbas Bendali, le dirigeant du cabinet Solis. Voici ses réponses à nos questions :
Pourriez-vous brièvement nous présenter votre cabinet et les études que vous réalisez ?
« Solis a été fondé en 1999. C’est un cabinet spécialisé dans le traitement de données média-marketing complexes notamment la mesure de l’efficacité sur les ventes des actions publicitaires et promotionnelles pour des produits de grande consommation, afin d’en mesurer le retour sur investissement, à partir de de données de panels ou de statistiques internes. Depuis 2005, nous travaillons sur les comportements de consommation des populations issues de l’immigration récente, celle de la 2ème moitié du 20ème siècle. C’est un sujet d’étude complexe, en l’absence de statistiques officielles sur les populations vivant en métropole en fonction de leurs origines, pour des raisons légales, ce segment constitutif de la population est mal connu. Nous avons été amenés à retraiter toutes les informations existantes pour estimer la taille et le profil de ces populations, notamment les originaires du Maghreb et les originaires d’Afrique subsaharienne. Ces travaux nous permettent de connaître la « population-mère » pour ensuite constituer des échantillons représentatifs. […] Grâce à ces structures théoriques, nous sommes à même de conduire des sondages dans les règles de l’art auprès de ces populations notamment sur le comportement de consommation de certains produits et services qui leurs sont spécifiques. »
Quels sont les comportements spécifiques de ces populations ?
« Dans l’alimentaire par exemple, ces comportements spécifiques vont dépendre des croyances religieuses ou des habitudes culturelles. Par exemple, la semoule de couscous est surconsommée par les originaires du Maghreb. Les boissons, certaines marques de sodas notamment, sont en plein boom. Nous les qualifions de sodas « identitaires ». Ce sont soit des marques provenant des pays d’origine soit des grandes marques comme Coca-Cola ou Pepsico qui sont présentes dans les pays du Maghreb par exemple, avec des marques propres à ces marchés et qui sont développées aujourd’hui en France. »
Qui sont les consommateurs du halal ?
« Le halal touche aujourd’hui les originaires du Maghreb dans leur très grande majorité mais également les originaires d’Afrique subsaharienne (un peu plus de la moitié d’entre eux déclare acheter des produits halal) ou de Turquie. »
« Les populations concernées sont extrêmement jeunes. Le poids des seniors (65 ans et plus) est très faible : 6 à 7% pour les originaires du Maghreb. Le phénomène est concentré sur les classes d’âge de moins de 50 ans. Ce sont donc des gens actifs ou scolaires pour la plupart, qui passent du temps à l’extérieur de chez eux avec évidemment le besoin de se restaurer d’où le succès de la restauration rapide. »
« Les originaires du Maghreb sont concentrés en Ile-de-France, en région PACA, en région Rhône-Alpes. Ils résident dans les grandes agglomérations urbaines avec un taux de plus de 80% dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. »
Quel est le poids du halal ?
« Le marché du halal est un secteur économique conséquent aujourd’hui. Il convient de le scinder en deux parties :
- La consommation à domicile, ou le « panier de la ménagère », représente au total 4,5 milliards d’euros. Ce chiffre porte pour l’essentiel sur la viande brute. Les principaux canaux de distribution sont les commerces traditionnels comme les boucheries musulmanes. Depuis quelques années on assiste au développement de produits élaborés à base de viande : charcuteries, plats cuisinés, sauces… Les bonbons à base de gélatine de porc sont aussi concernés. Des segments sont encore en friche, comme les pots pour bébé où le taux de pénétration est encore assez faible mais sur lesquels il y a un potentiel important.
- La restauration hors domicile avec 1 milliard d’euros. Cela concerne le secteur de la restauration et surtout la restauration rapide avec le développement des offres telles que les kebabs et autres sandwicheries. »
Y a-t-il beaucoup d’innovations sur le marché du halal ou bien s’agit-il de simples adaptations de produits déjà existants ?
« A mon sens il n’y a pas vraiment d’innovations au sens propre du terme. Il s’agit plutôt de « me too » de produits existants qu’il s’agisse de la charcuterie ou des plats cuisinés à base de viande. En revanche, pour ces consommateurs il s’agit vraiment d’offres nouvelles ou innovantes. Les rares innovations portent aujourd’hui sur les soupes, avec des recettes traditionnelles du Maghreb comme la chorba ou la harira, élaborées uniquement de manière domestique jusqu’à récemment mais que l’on retrouve maintenant dans les linéaires des grande surfaces sous le label de grandes marques ».
Y a-t-il encore un potentiel de développement pour le halal ou bien ce marché est-il déjà mature ?
« Certainement, le marché commence seulement à être mature. 2011 est la première année où les MDD ont gagné des positions sur ce marché : c’est l’année de lancement de Carrefour Halal et on voit dans notre dernière étude que cette marque est reconnue par les consommateurs en termes de notoriété. Elle a été repérée dans les linéaires et dispose d’un taux de pénétration conséquent un an après son lancement. C’est l’un des critères qui contribue à la maturité du marché avec la présence à la fois de grandes marques nationales, de marques historiques, de marques premier prix et de marques de distributeurs. Il y a encore du potentiel dans le développement de ce marché, en premier lieu par le développement de la disponibilité de ces produits et l’étoffement de leur offre dans la grande distribution. Ces produits sont surtout dans les grandes enseignes péri-urbaines (Auchan, Carrefour…) qui ont une implantation qui colle parfaitement à la localisation de ces populations. Le réseau du hard-discount propose également, de manière plus récente et ciblée, une offre de produits halal. Ce réseau est très fréquenté par ces segments de la population et a une implantation géographique proche de ces consommateurs. D’après les résultats de notre enquête, il existe également des marges de progression qui tiennent à une meilleure gestion des rayons halal à savoir leur localisation dans le magasin, la largeur des gammes et des assortiments, aux prix pratiqués et à la qualité des produits ».
Peut-on trouver des produits africains en grande distribution ?
« Nous avons réalisé récemment une étude sur le comportement d’achat des originaires d’Afrique subsaharienne. 98% d’entre eux déclarent acheter des produits alimentaires africains, comme des épices, des condiments, des huiles, des fruits, des légumes, des boissons, des beignets, des confitures… Quelques 90% ont déclaré acheter des légumes africains, 67% des huiles africaines, 34% des produits en conserve typiquement africains. 9 acheteurs sur 10 font au moins un achat par mois.»
« La disponibilité de ces produits est assez faible dans la grande distribution. Ces produits restent l’apanage de commerces spécialisés dits « ethniques » ou des « supérettes orientales ou asiatiques » qui sont fréquentés à la fois par des africains, des asiatiques et des maghrébins… parce que ces commerçants référencent largement des produits qu’on ne trouve pas dans la distribution classique. Les marchés, avec un taux de 50% de fréquentation, représentent le deuxième circuit le plus important. Le réseau informel constitue également un réseau d’approvisionnement non négligeable pour les produits africains. Enfin pour ce qui concerne le réseau GMS, seuls 18% des acheteurs de produits africains déclarent s’y approvisionner. Ceci s’explique par la très faible disponibilité de ces produits dans les commerces classiques (seulement 9% des sondés y achètent de la banane plantain et 7% de la pâte d’arachide). Néanmoins, cela se développe. Certaines grandes surfaces ont parfaitement bien analysé le profil de leur zone de chalandise et celui de leur clientèle et répondent à leurs attentes. Dans ces cas, les rayons sont bien achalandés mais il s’agit, je pense, plus d’initiatives locales, et d’un point de vente à un autre d’une même enseigne on ne retrouvera pas les mêmes largeurs de gammes ou d’assortiments. »
Produits halal, asiatiques, africains… Selon vous, quel sera le prochain type de produit ethnique ou exotique à émerger dans les années à venir en France ?
« A mon sens, les produits halal et africains tiennent à la taille de ces segments de population. Par exemple, pour les produits halal, la France est le pays du monde occidental qui compte la plus importante communauté musulmane. Avec 5 millions de consommateurs potentiels, ceci explique le développement de cette offre et son succès auprès des consommateurs. Idem pour les produits africains. Je pense que ce sera peut-être le prochain type de produit ethnique à se développer en grande surface car aujourd’hui l’offre reste faible bien qu’en croissance. Est-ce que les grandes surfaces, même si elles ont tendance à se spécialiser, vont offrir prochainement au moins les produits les plus courants à ces populations ? Sans doute. Je pense que ce sont plutôt les produits africains que l’on va voir se développer dans les grandes surfaces. »
Agro-media.fr remercie M. Bendali pour avoir répondu à nos questions. Pour en savoir plus sur les résultats des études menées par le cabinet Solis : www.solisfrance.com.
Certains passages de cette interview ont été repris dans notre analyse hebdomadaire intitulée “Alimentation ethnique/exotique, pour surprendre nos papilles“, que vous pourrez consulter en cliquant ici.
Propos recueillis par Vanessa Dufus.
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