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Bisphénol A : comment en est-on arrivé là ?

La polémique autour du bisphénol A (BPA) ne cesse d’enfler. Ce composé chimique dont la première synthèse a eu lieu en 1891 est aujourd’hui, 120 ans plus tard, décrié en raison de son impact sur la santé. Pourtant, les premières études sanitaires sur le bisphénol A remontent à 1930 et mettaient déjà en avant des risques pour la santé …

La polémique autour du bisphénol A (BPA) ne cesse d’enfler. Ce composé chimique dont la première synthèse a eu lieu en 1891 est aujourd’hui, 120 ans plus tard, décrié en raison de son impact sur la santé. Pourtant, les premières études sanitaires sur le bisphénol A remontent à 1930 et mettaient déjà en avant des risques pour la santé humaine. Or, le BPA est largement utilisé dans la plupart des produits de consommation courante. Deux études récemment publiées ont amené l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (Anses) à émettre des recommandations à l’encontre du BPA et à rechercher activement des produits de substitution. Pourquoi a-t-il fallu tant d’années pour que les dangers liés à l’utilisation du BPA soient pris en compte ? Pourquoi ce composé à risque était-il utilisé dans 90% des biberons en 2008 ? Comment en est-on arrivé là ?

Agro-media.fr retrace pour vous l’histoire du BPA et pointe du doigt les défaillances des agences sanitaires.

Le BPA, qu’est-ce que c’est ?

Tout d’abord, qu’est-ce que le BPA ? Il s’agit d’un composé chimique issu de la réaction entre deux molécules de phénol et une molécule d’acétone. Il a été synthétisé pour la première fois en 1891 par A. P. Dianin. Aujourd’hui, il est utilisé comme monomère lors de la fabrication industrielle de plastiques et de résines époxy. On le retrouve aussi dans les plastifiants et le PVC comme antioxydant et il est présent sous forme libre dans de nombreux tickets de caisse. Les résines au BPA sont largement utilisées comme revêtement intérieur des boîtes de conserve et canettes. Le BPA est donc très présent dans les produits de consommation courante et notamment au contact des denrées alimentaires. Il a été très étudié dans les années 1930 en raison de la recherche d’œstrogènes de synthèse. Cependant, il ne fut jamais utilisé à cette fin du fait de la découverte à la même époque d’un autre composé de synthèse, le diéthylstilbestrol, dont les propriétés se sont révélées plus intéressantes. L’industrie du bisphénol produit plus de 6 millions de tonnes par an de ce produit.

Quels sont les risques sanitaires liés au BPA ?

Si le BPA est décrié aujourd’hui, c’est en raison de sa dangerosité et de ses conséquences sur la santé humaine. Des récents travaux de l’INRA ont révélé que le BPA, présent sous forme libre dans un grand nombre de tickets de caisse, pouvait pénétrer l’organisme humain par la peau. Ainsi, les hôtesses de caisses auraient des taux résiduels de BPA plus importants que la moyenne. De même, 95% des échantillons d’urine collectés auprès d’adultes américains en 2005 contenaient des quantités non négligeables de BPA ! Cependant, la principale exposition est par voie orale, dans les contenants de denrées alimentaires. Le BPA peut en effet migrer vers les aliments, notamment en cas de chauffage. La contamination humaine peut aussi se faire via un passage par les voies respiratoires. Le BPA peut enfin s’accumuler dans le tissu adipeux.

Le BPA est un perturbateur endocrinien très stable. Autrement dit, il agit comme un leurre hormonal, capable de « mimer » l’effet des hormones sexuelles féminines qui ont un rôle dans la fonction de reproduction, mais aussi dans le développement d’organes comme le cerveau ou le système cardio-vasculaire.

Selon différentes études, le BPA aurait un effet sur :

  • les maladies cardiovasculaires,
  • le foie, en déclenchant des anomalies du bilan hépatique,
  • la survenue de diabète,
  • le pancréas,
  • la thyroïde,
  • l’efficacité des chimiothérapies chez les patients cancéreux,
  • le fonctionnement hormonal, en affectant la reproduction des animaux de laboratoire (un seul picogramme de BPA suffit à inhiber l’érection du pénis chez le lapin en altérant les tissus du corps caverneux) et en étant suspecté de faire partie des facteurs causant l’affaiblissement de la spermatogénèse chez l’homme,
  • la fonction intestinale. L’appareil digestif du rat est très sensible au BPA, même à faible dose, et l’administration de ce composé entraîne une perméabilité intestinale, une douleur viscérale et une réponse immunitaire à l’inflammation digestive accrues.
  • Le développement fœtal, notamment chez les animaux de laboratoire. Ainsi, les souris soumises à de faibles doses de BPA ont donné naissance à des mâles avec une prostate plus lourde et un épididyme moins développé que la moyenne, et à des femelles présentant des altérations du développement des glandes mammaires. Chez l’homme, le BPA augmente le poids des bébés à la naissance.

Les enfants sont les premiers exposés aux dangers du BPA, étant donné qu’ils sont plus réceptifs que les adultes. De plus, le placenta ne protège pas les embryons du BPA, qui parvient à le traverser.

Le positionnement des agences sanitaires, ou la politique de l’autruche.

L’industrie du plastique a longtemps affirmé que le BPA était sans danger pour l’homme, alors que dès les années 1930 des études ont révélé son potentiel androgène. Ainsi, elle aurait minimisé ou réfuté les tests donnant des résultats contraires. Par exemple, alors qu’onze études effectuées par des industriels ne mettaient aucun risque en évidence, un rapport de Frederick vom Saal et Claude Hughes en 2005 révélait que 90 % des 104 études indépendantes réalisées évoquaient un risque potentiel. De plus, en 2006, vom Saal et Welshons ont publié une analyse détaillée expliquant pourquoi certaines études, principalement menées par des laboratoires financés par l’industrie, n’obtenaient pas des résultats reproductibles sur les effets à faible dose du bisphénol-A.

Le 15 août 2008, un rapport de la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis concluait que ce produit ne posait pas de problème sur la santé humaine aux niveaux d’exposition habituels pour l’homme. Or, ce constat n’est pas partagé par de nombreux scientifiques, y compris au sein d’un groupe consultatif de la FDA qui accuse l’agence de ne retenir que les arguments avancés par les études financées par l’industrie du plastique et d’ignorer une centaine d’études indépendantes.

En France, dans un communiqué du 13 novembre 2008, l’Afssa (devenue l’Anses) s’est alignée sur les conclusions de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) selon lesquelles l’exposition des nourrissons au bisphénol A était largement inférieure à la dose journalière tolérable (DJT) et ce, même en cas de chauffage au micro-ondes. Quelques jours plus tard, le Canard enchaîné dénonçait un conflit d’intérêt : de nombreux membres du comité d’experts de l’Afssa auraient également été employés par l’industrie du plastique.

Premier changement de position : l’Afssa avait indiqué le 5 février 2010 constater des « effets subtils » du BPA sur le comportement de rats et affirmait « poursuivre son travail d’expertise pour comprendre ces signaux d’alertes ». Pourtant, en avril 2010, donc deux mois plus tard, elle estimait qu’il n’y avait « pas de raison de modifier les habitudes alimentaires » ! Elle reconnaissait néanmoins que : « la protection des consommateurs doit être renforcée, et le niveau d’exposition de la population réduit ». Ces recommandations n’ont bien entendu pas satisfait les médecins et associations de consommateurs, étant donné leur faible impact par rapport aux dangers réels.

Vers une prise en compte des dangers.

Peu à peu, les organismes institutionnels ont revu un à un leur positionnement. Ainsi, la FDA, qui avait initialement déclaré le BPA sans danger en 2008, est revenue sur son avis, sur la base de nouvelles études concluant à « des effets potentiels sur le cerveau et sur la prostate des bébés et des fœtus ». Elle a par la suite encouragé l’initiative des industriels américains de ne plus utiliser de BPA dans les contenants d’aliments pour bébés et s’est positionnée contre l’utilisation du BPA dans les revêtements intérieurs de boîtes de conserves.

Depuis le 18 avril 2008, Santé Canada a classé le BPA au rang de substance dangereuse. Le Canada a ainsi été le premier pays à classer au rang des toxiques cette substance, et le 17 octobre 2008 il est également devenu le premier pays à interdire les biberons au BPA. La France n’a suivi que deux ans plus tard, en 2010. Le BPA a aussi été interdit dans certains États américains (parmi lesquels le Minnesota et le Connecticut), tandis que des sénateurs américains ont déposé une proposition de loi visant à son interdiction pour tout contenant de boisson.

Dès 2009, la polémique enfle. En France, le Réseau Environnement Santé (RES), qui réunit associations, ONG et scientifiques, demande aussi « l’interdiction du BPA dans les plastiques alimentaires ». Aux États-Unis comme en France, un certain nombre de fabricants annoncent qu’ils proposent ou vont proposer des biberons « garantis sans BPA ». Le 23 juin 2010, le Parlement français interdit finalement la fabrication et la commercialisation de biberons contenant du BPA.

Il faudra attendre la semaine dernière et la publication de deux autres rapports accablant le BPA pour que l’Anses recommande la substitution du BPA. Les industriels, qui s’annoncent « surpris », préviennent aussitôt qu’une telle substitution sera très difficile et demandera du temps… Pourtant, les risques étaient connus depuis des années, bien que les agences sanitaires aient plus que tardé à l’admettre. Un projet de loi a été déposé dans la foulée pour interdire le BPA. Le parcours parlementaire s’annonce long, et les lobbys puissants. Serions-nous tout de même en train d’assister à la fin du BPA ? Si c’est le cas, il était temps… V.D.

ParLa rédaction

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