L’industrie agroalimentaire face au flexitarisme, un phénomène en progression
«Il y a aujourd’hui une remise en cause de notre alimentation et, tout particulièrement, de la place de chaque aliment dans notre assiette. Après avoir succombé aux excès, la modération est à l’ordre du jour. Sans même en avoir vraiment conscience, nous serions déjà tous ou presque flexitariens, la qualité supplantant désormais la quantité. Manger de tout, oui, mais …
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«Il y a aujourd’hui une remise en cause de notre alimentation et, tout particulièrement, de la place de chaque aliment dans notre assiette. Après avoir succombé aux excès, la modération est à l’ordre du jour. Sans même en avoir vraiment conscience, nous serions déjà tous ou presque flexitariens, la qualité supplantant désormais la quantité. Manger de tout, oui, mais de façon raisonnée et raisonnable, en redonnant du sens à son alimentation», conclut Les rencontres du MeatLab Charal qui se déroulait en novembre dernier à Paris.
L’objectif pour la marque leader de la viande en France était d’ouvrir le dialogue sur des thématiques alimentaires qui agitent et questionnent notre société.
Ce qu’il ressort de ces rencontres en premier lieu, c’est que les Français restent toutefois attachés aux protéines animales et, notamment, à la viande pour ce qu’elle leur apporte, mais aussi et surtout par goût. Il serait donc prématuré, voire mensonger, d’affirmer que celle-ci est amenée à disparaître de nos assiettes dans les prochaines années, affirment les experts du MeatLab Charal.
En revanche, les enjeux éthiques, environnementaux et sanitaires influent désormais sur ce marché, qui doit aller vers une plus grande transparence et une qualité renforcée. Et, le plus important, comme le rappelle le Dr Philippe Legrand, c’est de se souvenir que «surcharger son alimentation ou évincer certains aliments sont deux comportements à bannir si on veut rester en bonne santé».
Qu’en est-il des Français et de leur consommation de produits d’origine animale ?
La première édition des rencontres du MeatLab Charal a tenté de répondre à cette question avec un panel d’experts (sociologue, diététicienne, docteur en physiologie de la nutrition et rédactrice culinaire) invités à débattre autour du flexitarisme, ainsi que de la diminution de la consommation de viande d’un point de vue santé et nutrition.
Pour introduire ce premier rendez-vous MeatLab Charal, Julia Burtin, Strategic Insight Manager chez Kantar Worldpanel, a présenté en exclusivité les résultats de la 2e édition de l’étude : «Le flexitarisme : les Français et la consommation de produits d’origine animale».
«C’est important pour les acteurs de la filière viande de comprendre les évolutions de la consommation et d’adapter leurs propositions en conséquence. Dans ce cadre, Charal travaille actuellement sur l’axe nutrition/santé. C’est pourquoi il nous a semblé intéressant, lors de cette première rencontre du MeatLab, d’aborder le sujet du flexitarisme sous cet angle. Être à l’écoute des experts qui maîtrisent ce sujet, mais aussi de celles et ceux qui sont au contact direct des consommateurs est une source d’inspiration précieuse pour l’ensemble de la profession », explique Bernard Collin, directeur qualité de Charal.
L’étude Kantar Worldpanel, présentée en exclusivité lors du MeatLab Charal, a permis d’interroger 12 000 foyers français pour connaître leur rapport aux produits d’origine animale (œufs, produits carnés, de la mer et laitiers). Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser à la lecture des publications sur les réseaux sociaux, les Français sont encore loin d’y avoir renoncé.
Les protéines animales présentes dans 3 paniers d’achats sur 4
«Aujourd’hui, 1/3 des ménages déclarent néanmoins limiter leur consommation de protéines animales, alors que ce chiffre n’était que de 1/4 en 2015. Concernant l’évolution du profil de ces consommateurs, on remarque un rajeunissement, avec de plus en plus d’individus de moins de 35 ans.
Ce dernier point est éclairant, car nous avons tendance à conserver notre comportement de consommation en vieillissant. Nous pouvons donc supposer que cette tendance est amenée à perdurer, puisqu’elle touche aujourd’hui des individus jeunes. D’ailleurs, le niveau d’achat de viande chez les moins de 35 ans est beaucoup moins élevé que celui constaté dans les foyers plus âgés», souligne Julia Burtin.
En moyenne, 34% des foyers comportent au moins 1 individu « flexitarien ».
Ce pourcentage s’élève à 38% dans ceux où les personnes sont âgées de 65 ans et plus ; à 37% dans ceux dont les membres ont suivi des études supérieures ; à 50% dans ceux où les individus se revendiquent comme biocitoyens, faisant attention à l’impact de leur consommation sur la planète (consommation majoritairement bio, en vrac, via les circuits courts…) ; et, enfin, à 46% dans ceux où les personnes peuvent être classées dans la catégorie « self-control », c’est-à-dire qui s’inscrivent dans une dynamique de maîtrise de leur alimentation au sens large (moins de gras, moins de sucre, moins d’additifs…).
Autant de raisons différentes qui expliquent qu’un foyer choisisse de diminuer sa consommation de protéines animales. Cette année, l’ensemble des produits d’origine animale représentait 38,1% du poids des dépenses alimentaires des foyers français pour un budget de 1 628 € par an, à raison de 94 actes d’achat. Ils sont donc présents dans 3 paniers de courses sur 4, comme c’était déjà le cas en 2013.
La viande encore très ancrée dans les habitudes de consommation
Par ailleurs, si l’on observe un repli des produits carnés dans les dépenses des ménages, -5% en volume et même -8% pour la viande de boucherie entre 2013 et 2017, 85% des individus en consomment au moins trois fois par semaine et 31% plus d’une fois par jour (consommation à domicile) !
Enfin, la viande reste encore très ancrée dans les habitudes de consommation des Français, puisque tout le monde en achète au moins une fois dans l’année. «Derrière ces évolutions, beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte.
Tout d’abord, l’organisation des repas, de moins en moins structurée, avec beaucoup plus d’occasions de consommation fragmentée, ce qui ne joue pas en faveur des produits bruts, qu’il s’agisse aussi bien de viande que de fruits et légumes. Et si les foyers français réduisent leur consommation en volume, ils sont aussi entrés dans l’air du “consommer moins, mais mieux”.
Ce que l’on observe sur ces marchés est donc à analyser au travers du prisme global de la consommation, qui est dans une tendance de diminution du volume de produits entrant au sein du foyer, toutes catégories confondues », modère Julia Burtin Strategic Insight Manager chez Kantar Worldpanel.
Les foyers français veulent consommer moins, mais mieux
Les foyers pouvant être considérés comme flexitariens ont une propension plus forte que les autres à se tourner vers l’offre traiteur végétale, mais ils sont également de fervents adeptes des légumes secs, de la semoule, des céréales et des œufs. Bien entendu, ils achètent en moyenne 3,5 kg de moins de charcuterie, de produits de la mer et de viande que les foyers lambda. Toutefois, 96% d’entre eux en achètent au moins une fois dans l’année.
«Si les flexitariens achètent moins de viande, leurs dépenses en la matière atteignent cependant des montants quasi équivalents à ceux des autres foyers. Cela signifie donc bien que leur préférence va à des produits plus valorisés. Cette dynamique est particulièrement perceptible sur un aliment comme le jambon, dont les volumes d’achat diminuent, certes, mais où tout ce qui a trait à la filière qualité se développe fortement (bio, labélisé, sans additifs…). En conclusion, les foyers français veulent consommer moins, mais mieux ! », conclut Julia Burtin.
Le végétarisme : Une tendance encore confidentielle
Depuis 3 ans, Kantar Worldpanel mesure dans son échantillon le nombre de personnes au sein d’un foyer qui se déclarent végétariennes. En 2015, 1,5% des 12 000 ménages concernés répondaient à cette question par l’affirmative contre 1,9% aujourd’hui.
Pour la plupart d’entre eux, il s’agit généralement d’une décision individuelle, à savoir qu’un seul membre du foyer adopte ce comportement alimentaire. Une proportion de la population encore très faible, donc, par rapport à l’explosion du nombre de citations autour de cette tendance sur les réseaux sociaux ou dans les médias.
Dans le cadre de ses consultations, Corinne Peirano, diététicienne-nutritionniste spécialisée dans le surpoids, l’obésité, l’alimentation du sportif et les troubles du comportement alimentaire, a constaté que beaucoup de questions se posaient autour de la table des Français. «Je constate que c’est une préoccupation genrée, les hommes restant plus attachés à la consommation de viande que les femmes. C’est aussi une question d’âge : les plus de 60 ans estiment qu’ils n’ont plus de besoins justifiant d’en consommer.
Enfin, je rencontre des jeunes de 20 ou 30 ans qui prennent position et affirment leur volonté de se passer de protéines animales sans pour autant être dans une démarche militante, soit parce qu’ils n’aiment pas, soit parce qu’ils ne savent pas, n’ont pas le temps ou l’envie d’en cuisiner », raconte Corinne Peirano.
En supprimant les protéines animales, on modifie la structure du repas
Ce qui est certain, c’est que depuis 7 ou 8 ans, le discours ambiant, qui recommande de moins consommer de viande, influe sur le comportement alimentaire des Français. Corinne Peirano préfère toutefois mettre en garde : «Par ma spécialisation, je suis en contact régulier avec le milieu sportif professionnel de haut niveau et je note que les comportements alimentaires évoluent également dans ce sens. Mon rôle est de m’assurer que les personnes qui viennent me voir, quel que soit le style d’alimentation qu’elles ont adopté, ne présentent pas de carences. Cependant, les analyses sanguines, ainsi que les constantes biologiques mesurées dans le cas de personnes qui ont supprimé totalement les protéines animales de leur alimentation montrent souvent des manques. Cela nécessite, dans le cas où la personne ne s’y oppose pas, leur réintroduction, notamment pour celles qui ont une activité sportive soutenue. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en supprimant les protéines animales, on modifie la structure du repas. Or, il faut compter avec la thermogénèse des aliments qui implique que l’on ne brûle pas à l’identique les protéines végétales et animales. J’ai ainsi vu des personnes prendre du poids après être passées à un régime végétarien. En effet, pour compenser l’éviction des aliments carnés, elles ont d’elles- mêmes augmenté, au-delà de leurs besoins, leurs doses de céréales et de légumineuses, des aliments sources de glucides».
Que signifie vraiment être flexitarien ?
Besoin de s’affirmer par le biais de son alimentation, « problème de riche » ou évolution naturelle d’une société ayant trop longtemps baigné dans l’excès ? À en croire les experts présents lors de cette rencontre, le flexitarisme est un peu tout cela à la fois… Comment interpréter le flexitarisme d’un point de vue sociologique? Ce comportement serait avant tout lié à un processus d’individualisation. Pour le consommateur, habitué au triptyque «entrée, plat, dessert», choisir de supprimer les protéines animales dans ses repas quotidiens peut se révéler complexe. Mais, ce qui est nouveau, c’est que la conception du repas à la française était jusqu’à présent communielle.
Ne pas manger la même chose que les autres pour une question d’allergie, par exemple, vous excluait de la table. Dire aujourd’hui que l’on est flexitarien, c’est donc avant tout prendre position via son alimentation avec le besoin très fort d’affirmer que l’on est « quelque chose ».
Il faut désormais mettre un nom sur une pratique, qui consiste à limiter sa consommation de viande pour se situer par rapport aux autres (végans, végétariens, végétaliens…). Dès lors, notre culture traditionnelle se tait au profit de l’affirmation de l’individu. C’est aussi être en quête de sens.
Au début du XXe siècle, pour expliquer que l’on gagnait bien sa vie, on disait « Je gagne mon pain ». Puis, après la Seconde Guerre mondiale, « Je gagne mon bifteck ». Ensuite, on a mis « du beurre dans les épinards ». Entre-temps, le beurre a été déclaré ennemi public n° 1, avant d’être récemment réhabilité. Aujourd’hui, c’est au tour du sucre et de la viande d’être, à leur tour, montrés du doigt.
«Les produits animaux sont à la fois les plus adorés et les plus abhorrés. Il suffit de regarder les restrictions religieuses, qui concernent uniquement la viande et jamais les légumes. Par ailleurs, dans les sociétés développées, nous sommes arrivés à une période où l’homme moderne a réglé un certain nombre d’incertitudes, notamment en ce qui concerne la possibilité de se nourrir en quantité suffisante. La viande est désormais accessible à tous et ne représente plus ce «superaliment» qu’elle a été pendant des millénaires. Le consommateur peut dès lors se poser autour d’elle des questions de qualité, de sécurité ou encore d’éthique», constatent les experts du MeatLab Charal.
Un avis que partage Clotilde Roux, rédactrice culinaire : « Les consommateurs sont en attente de choix, mais aussi de transparence vis-à-vis de ce qui se trouve dans leur assiette. Je remarque que les restaurateurs font de plus en plus attention à nommer les producteurs qui les fournissent et l’origine de la viande qu’ils servent. Fini les menus déclinant une cinquantaine de plats. Ils privilégient des cartes courtes, écrites sur des ardoises dans un esprit “retour de marché”, dont les propositions sont sourcées localement et renouvelées régulièrement».
Les marques de l’agroalimentaire devront adapter leurs propositions
Les marques de l’agroalimentaire doivent également prendre en compte l’ensemble de ces évolutions sociétales pour adapter leurs propositions, comme le rappelle Bernard Collin : «Il n’existe pas un mais de nombreux types de consommateurs de viande. En revanche, tous cherchent à établir une corrélation entre leur alimentation et leurs convictions. Certains souhaitent monter en gamme, d’autres recherchent des garanties de qualité ou encore privilégient la modération. Notre rôle, en tant que spécialistes de la viande, est de respecter chacun d’entre eux et de leur faire des propositions adéquates».
Pour le Pr Philippe Legrand, docteur ès sciences en physiologie de la nutrition et directeur du laboratoire de biochimie nutrition humaine à l’Agrocampus à Rennes : «Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous vivons dans un pays repu. De mon point de vue, le flexitarien est tout simplement un omnivore qui se pose la bonne question, à savoir : dans quelle proportion dois-je manger tel ou tel aliment? Mais, bien sûr, tout dépend des réponses quantitatives !». Il serait donc faux de penser qu’il existe de «bons» ou de «mauvais» aliments pour notre santé.
«Avant tout, il est essentiel de respecter notre nature omnivore et cela est d’autant plus vrai pour les populations les plus vulnérables (nourrissons, enfants, adolescents en pleine croissance, personnes âgées…). Notre alimentation doit nous apporter des nutriments essentiels, comme les vitamines B12, D et A, le fer contenu dans la viande et les oméga 3 à longue chaîne, que l’on trouve notamment dans le poisson, le calcium des produits laitiers, la sécurité en acides aminés essentiels, etc. Éliminer les produits animaux ou trop les réduire est donc une erreur, tout comme surcharger votre alimentation en produits végétaux pour compenser les manques, car vous allez alors trop augmenter votre apport en glucides. Actuellement, pour la viande rouge, il est recommandé de ne pas en consommer plus de 500 g par semaine. Au-delà, on entre probablement dans l’excès. Rappelons-nous que, dans les pays où les problèmes de nutrition subsistent, le déficit en fer est l’une des principales causes de mortalité», ajoute le Pr Philippe Legrand.
Il ressort en conclusion de ces rencontres que le flexitarisme serait une réaction à nos excès du passé, où nous avons abusé de tout sans nous poser de questions. Et si manger trop induit des risques pour notre santé, supprimer des aliments nous en ferait donc prendre tout autant… (Source : MeatLab Charal)
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