Abattage rituel : entre débat éthique et business florissant pour les industriels de l’agroalimentaire
Les marchés du halal et du casher explosent en France et témoigne de la forte demande des consommateurs et du positionnement stratégique des industriels dans l'abattage rituel.
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La polémique sur l’abattage rituel n’en finit plus de faire débattre. La dernière en date à être sortie de son silence pour demander au gouvernement de légiférer sur la question : Brigitte Bardot, le chantre du bien-être animal. Mais l’abattage rituel c’est quoi ? Souvent évoqué pour la viande halal, il concerne aussi la viande casher. Qu’est-ce que ça rapporte à l’économie française ? Qui certifie cette viande ? Quels sont les industriels agroalimentaires qui se sont lancés dans ce nouveau marché. Décryptage.
L’abattage rituel des animaux en France est encadré par le droit commun et le droit européen. Ces règles de droit autorisent l’abattage des animaux de boucherie conformément aux rites religieux musulmans et juifs. La principale dérogation consiste en la possibilité d’égorger l’animal encore conscient alors que le droit commun exige un étourdissement préalable et que l’abattage soit effectué dans un abattoir homologué.
C’est cette dérogation qui fait encore débattre, d’autant que de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer ce nouveau « business ». Ça pèse combien l’abattage rituel ?
Un marché économique du halal et du casher qui explose
En France, la prédominance de l’abattage rituel est musulmane mais l’abattage rituel concerne également les juifs. Bien que difficile à estimer, certaines études ont démontré que 10 à 15 % de la communauté juive en France consommeraient strictement casher et que plus de 9 musulmans sur 10 achètent des produits halal. Ces derniers varient : de la viande et de la charcuterie évidemment mais aussi des plats cuisinés, des confiseries sans gélatine, des sauces et même des soupes.
Selon le Haut Conseil à l’intégration, le marché de la viande halal pèse plus de 200 000 tonnes de denrées alimentaires par an. Ces produits passent à la fois par les circuits de distribution classiques mais aussi via des boucheries halal ou des épiceries fines spécialisées. On en dénombre entre 2 000 et 3 000 sur l’ensemble du territoire français, dont 700 à Paris.
De son côté, l’institut Solis estime le marché du halal en France à 4,5 milliards d’euros pour ce qui concerne les achats domestiques et à 1 milliard d’euros pour la consommation hors domicile. Le marché du casher pèserait lui jusqu’à 2 milliards d’euros.
Nous avons interrogé deux bouchers : l’un casher, l’autre halal qui nous livré leur ressenti sur la question des opportunités de marché de l’abattage rituel. Les deux hommes s’entendent : “les industriels ‘trust’ notre activité”. Zakia Halal, Samia, Fleury Michon, Doux, Haribo, Nescafé, Legal, Van Houten… Ces marques occupent les étals, les frigos et les placards des communautés juives et musulmanes de France.
Pour Daniel C., boucher casher de la région lilloise, le marché du casher explose dans la grande distribution mais recule dans sa boucherie. « Je suis boucher casher depuis 17 ans et oui, j’ai moins de clients aujourd’hui qu’à mes débuts et moins encore que mon père avant. Je crois que le fait que tu trouves des produits casher partout, ça n’aide pas notre activité. Et puis, je pense aussi qu’il y a moins de personnes qui ne consomment plus que casher ». Kamel, boucher halal du 20ème arrondissement est d’accord. « Il y a de plus en plus de produits certifiés halal dans le commerce. Avant quand un client voulait une sauce bolognaise halal, il faisait un arrêt chez moi. Aujourd’hui, il va là-bas, chez Carrefour et achète un pot de bolognaise Zakia Halal. ».
Idem pour le budget publicitaire des marques halal et casher qui explose et se fixe à près de 6 millions d’euros en 2011, derniers chiffres connus. Pourtant, certains juifs ou musulmans doutent cependant encore des certifications.
Quid de l’abattage rituel ?
Afida L., parisienne, musulmane, ne mange que halal. Elle ne fait pas toujours confiance aux grandes marques. « J’ai parfois du mal à croire que Fleury Michon ou Doux soient vraiment honnêtes quand ils font du halal, j’ai peur qu’il y ait un abattage pas vraiment minutieux ».
C’est quoi un abattage rituel dans les règles de l’art alors ? C’est au moment de l’abattage qu’une viande devient halal ou casher. Concrètement, c’est pendant l’égorgement que le sacrificateur doit prononcer une phrase rituelle précise. Les industriels s’y plient-ils, c’est là que d’autres comme Afida doutent. Mais normalement, elle est certifiée. En France, depuis 1990, la Grande Mosquée de Paris, la Mosquée d’Evry et la Grande Mosquée de Lyon pour les musulmans et le consistoire juif de France pour les juifs, valident les rites d’abattage. Les autorités françaises ont du mal à chiffrer le nombre de bêtes abattus dans les rites mais selon la Direction générale de l’alimentation, 30% du milliard d’animaux abattus en France le sont selon des principes religieux.
L’étiquetage des produits rituels
Comme Brigitte Bardot, beaucoup d’associations de protection des animaux montent régulièrement au créneau pour dénoncer l’abattage rituel. Sans étourdissement préalable, les animaux pourraient souffrir davantage et d’autres lancent un nouveau pavé dans la mare, ramification logique des débats : la qualité de la viande. Face à ces interrogations, la question de l’étiquetage s’est naturellement imposée. L’Europe a tenu ses engagements et a renforcé sa législation limitant l’abattage sans étourdissement. En 2014, six pays (Suisse, Liechtenstein, Islande, Norvège, Suède et Danemark) obligent l’étourdissement de l’animal avant son abattage.
D’autres exigent que les consommateurs soient informés du mode d’abattage par un étiquetage spécifique, c’est le cas de la France. La question de la qualité de la viande abattue selon un rite fait sourire Kamel, notre boucher halal. « En quoi serait-elle moins bonne ? Pas du tout, contrairement à ce qu’on veut faire croire, la viande abattue dans le rite halal ou casher, chez nous comme pour les industriels est d’excellente qualité, l’animal n’a pas le temps de stresser. », nous assure l’homme. Même son de cloche du côté de Daniel, le boucher casher : « La viande n’est pas gorgée de sang, l’animal de stresse pas et résultat, la viande est tendre et de très bonne qualité, s’il a été élevé au grand air et qu’il a été correctement nourrit avant ». De quoi rassurer les militants de la cause animale ? Pas sûr mais au moins les industriels savent que leurs cadences d’abattage n’ont pas à ralentir. C’est mieux pour la bête. Mais pour autant, ces derniers ne veulent pas entendre parler de traçabilité. Un autre débat…
L’abattage rituel en droit |
– Arrêté du 25 octobre 1982 relatif à l’élevage, à la garde et à la détention des animaux – Arrêté du 15 décembre 1994 relatif à l’agrément d’un organisme religieux habilitant des sacrificateurs rituels – Arrêtés du 27 juin 1996 relatifs à l’agrément d’organismes religieux habilitant des sacrificateurs rituels – Arrêté ministériel du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs. – Décret du 28 décembre 2011 : il apporte un durcissement de la loi. Désormais l’usage de l’abattage rituel ne pourra se faire qu’à partir d’une commande de viande et plus de façon systématique. |
Débat sur l’abattage rituel – Europe 1
Infographie sur l’abattage rituel
(source : La Nouvelle République)